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Rennes ma ville autrefois

Le crime de la rue de Saint-Malo 1906

 

                                         AUX ASSISES D'ILLE- ET- VILAINE

 

                                           Le crime  de la rue de Saint-Malo 1906 

 

 

Récit complet, retranscription originale journaux Ouest-éclair.  

 

Le drame tragique dans lequel la jeune victime de l'ouvrier boulanger Louvel, a trouvé la mort, avait ému à un tel point les habitants de la rue Saint-Malo et des rues avoisinantes, que ceux-ci prenant part au deuil qui atteignait M. Cochet pour qui sa fille était une collaboratrice sérieuse et dévouée, décidèrent de faire une démonstration de sympathie en faveur de la famille. 

Cette manifestation s'est traduite hier aux obsèques de Mlle Anna Cochet par une affluence considérable qui, pieuse et recueillie, se pressait sur le parcours que devait suivre le cortège funèbre. 

Sur la place Sainte-Anne et sur les marches du perron ouest de l'église bonne nouvelle, on peut évaluer la foule à près de 2.000 personnes. 

Dès 9 heures et demie, le trottoir faisant face à la boulangerie était encombré ainsi que les abords de celle-ci par de nombreux assistants. 

A 10 heures moins le quart, le cercueil qui était déposé dans le magasin transformé en une blanche chapelle ardente, toute tapissée de lis, et ornée de fleurs à profusion, était transporté dans le corbillard, autour duquel on accrochait une profusion de couronnes. 

Parmi celles-ci, on en remarquait de très belles, notamment celles en fleurs naturelles offertes par les patrons boulangers et par ses amis du quartier . D'autres portaient les inscriptions suivantes, à ma cousine, à notre sœur, de la part de la famille. 

La levée du corps fut faite par M. l'abbé Ramel, curé-doyen de Dain. Au clergé de de la paroisse Saint-Aubin, s'étaient joints plusieurs prétres, M. l'abbé Daslé, recteur de Saint-Laurent M. l'abbé Villala, recteur de Guipel, M. l'abbé Drouin, aumônier des Ursulines de Montfort, etc. 

A côté du corbillard, marchaient quatre fillettes vêtues de blanc, Mlles Célestine Henry, Germaine Gralland, Adèle Quinton et Jeanne Martin la tète couronnée de roses blanches et portant des gerbes de lis. 

Les cordons du poële étaient tenus par quatre amies de la défunte, Mlles Taillé, Lebroize, Leray et Branger. 

Mme Beucouarn portait un bouquet offert par la cousine de Mlle Cochet. 

Le deuil était conduit par le père de la victime, ses deux frères, Emmanuel et Alexandre, et d'autres membres de la famille.

Derrière la famille, suivaient MM. Lecoq et Lejeune, adjoints au maire de Hennés la plupart des conseillers municipaux; MM. Le Bourdelès, procureur de la République; Guesdon juge d'instruction Simon ne au, son secrétaire Deblais commissaire de police Lanoë, chef de la sûreté, puis la foule des amis.

La vaste nef de l'église fut vite emplie, et c'est au milieu d'un silence imposant, que seuls troublaient la voix des orgues et des chants de l'oncle de la jeune fille, M. l'abbé Cochet, recteur du Lou-du-Lac, célébra l'office funèbre.

Une fois l'absoute donnée par M. le recteur de Saint-Laurent, le Iong cortège se dirigea vers le cimetière du Nord sous la conduite de M, le recteur de Guipel. Quand les dernières prières furent dites, les jeunes tilles jetèrent sur le cercueil leurs gerbes parfumées, puis l'on vit s'avancer vers la tombe la poitrine soulevée par de profonds sanglots, le malheureux père suivi de son fils aîné, soldat au 70è, à Vitré, qui ne pouvait non plus retenir ses larmes.

Au moment où, d'une main tremblante ils bénissaient, se soutenant à peine l'un et l'autre, la terre sous laquelle on allait ensevelir bientôt celle qui leur était si chère, leur douleur ne connut plus de bornes. Alors ce fut autour de la tombe une explosion non contenue de pleurs, qui donna à cette scène un caractère poignant. A la sortie du cimetière, ce fut à des milliers d'étreintes, que durent répondre les membres éplorés de la famille de Mlle Anna Cochet, à laquelle, en assistant en si grande foule à ses funérailles, ceux qui la connaissaient ont voulu témoigner leur grande sympathie. G. C. LE 14 JUILLET.

 

Le récit complet du crime du 30 juin 1906.

 

Un drame s'est déroulé cette nuit dans notre ville, dans la maison portant le n° 34 rue Saint-Malo dont le rez-de-chaussée est occupé par boulangerie exploitée par M. Cochet. 

boulangerie cochet

C'est Mlle. Cochet, âgée de 21 ans. qui a été la victime de l'assassin, un jeune homme de 22 ans, nommé Julien Louvel. 

 Il était minuit et demi quand le crime a été accompli, l'assassin a pénétré d'une façon qu'on ne connaît pas encore dans la chambre de la jeune fille et l'a tuée d'un coup de revolver. 

Louvel a pris la fuite.  

Le quartier est déjà en rumeur 2 heures, quand nous approchons de la maison du crime. 

L'entrée est encombrée par des voisins qui commentent l'événement: M. Deblais est monté dans l'appartement Au 1" étage et procède à son enquête. Sur son lit est étendue la malheureuse victime. 

Mlle Anne Cochet semble dormir; aucun désordre n'existe, il n'y a pas eu de lutte, a-t-elle vu son assassin, il est probable que non elle n'a pas dû souffrir car son visage est calme, et n'était la blessure qui laisse couler sur sa joue un filet de sang on pourrait la croire encore endormie. 

Tandis que les commentaires vont leur train, M. Queutier. commissaire central, et peu après lui M. Le Bourdellès, procureur de la République, et M. Guestton, juge d'instruction arrivent. 

Il est deux heures du matin, on apprend a!ors que toute ta police de sûreté est déjà la recherche de l'assassin. 

Quand les magistrats pénètrent dans l'appartement du premier étage, M. Deblais interrogeait le père de la victime, qui, attéré et la voix entrecoupée de sanglots lui donnait des renseignements incomplets sur le crime, lui racontant ce qu'il savait. 

Ce que dit M. Cochet. 

J'avais à mon service, dit M. Cochet, un garçon, celui qui vient de tuer ma pauvre enfant il s'appelle Julien Louvel, j'étais content de ses services, il travaillait bien, mais il éprouva bientôt pour ma fille des sentiments qui me mirent dans l'obligation de le renvoyer, il parlait de  l’épouser et j'avais formé d'autres projet pour ma pauvre petite Anna.  Depuis deux mois il faisait !a cour a ma fille et quand je le congédiai, il manifesta le chagrin qu'il éprouvait de ma détermination. 

Je n'avais plus entendu parler de lui depuis quelque temps. Cette nuit, je travaillais au pétrin, quand le garçon qui l'avait remplacé me dit qu'il venait d'entendre du bruit au premier. Je montai précipitamment et quand j'entrai dans la chambre je vis Louvel au pied du lit de ma fille. Il tenait un revolver. il avait déjà tiré, mon enfant était morte. 

Je me précipitai sur le misérable qui dirigea le canon de son revolver sur moi, me bouscula et s'enfuit par l'escalier de l'allée. 

Déclaration de Pierre Rossignol. 

Le garçon boulanger fait à son tour la déclaration suivante: 

J'étais au travail avec mon patron.  Il me sembla entendre comme un petit cri d’enfant. Je crus que cela venait de dehors je prévins mon patron qui me dit c’est ma fille, nous montâmes, elle était morte. 

J'ai vu l'individu debout au pied du lit. Le patron me cria « Viens à moi! Je m'avançai, mais Louvel s'écria N'approche pas ou je te tue et me renversant s’enfuit par l'escalier. 

Julien Louvel l’assassin Comme nous le dissions en commençant, l'assassin est âgé du 23 ans, quittant la boulangerie Cochet, il avait été embauché par M. Cronier, boulanger, faubourg de Brest, où il travaillait depuis et chez lequel il demeurait. La première pièce à conviction qu'on trouva sur les lieux du crime est le chapeau de Louvel, un chapeau de paille tout neuf portant estampillé sur la coiffe l'adresse du marchand, rue Rallier, et qu'il avait laissé tomber en fuyant. 

L’arrestation. 

L'assassin ne pouvait tarder à être arrêté. 

On le connaissait, on savait qu'il travaillait et logeait chez M. Cronier, c'est là que se rendirent directement les agents Lancé, Jacques, Bertautt et Renault. 

Il s'adresseront an boulanger M. Cronier qui leur répondit que son garçon était couché, ou au moins dans sa chambra. M. Cronier ne savait rien encore du drame, et quand il fut mis au courant, il resta stupéfait, car le caractère de Louvel lui avait paru doux et il ne pouvait en croire ses oreilles. 

Cependant les agents montaient à la chambre de Louvel. ils ouvrirent la porte, et qu'il vit a qui il avait affaire il les visa avec son révolver qu'il tenait encore et fit feu par cinq fois. Mais sa main tremblait et ses coups mal assurés ne portèrent pas, aucun des agents ne fut blessé. 

Ils s'emparèrent aussitôt de lui avant qu’il ait le temps de prendre une autre arme, et lui mirent les menottes. Louvel se laissa alors emmener sans résistance au poste de la place de la Mairie, rue ferdinand Buisson,où il trouva les magistrats qui venaient de commenter leur enquête rue Saint-Malo. Après un interrogatoire très sommaire, Louvet qui ne fit aucune difficulté pour avouer puisqu'il avait été vu, a été conduit à la  prison et écroué. 

Hier matin, samedi, à la première heure, la population de Rennes apprenait, par les placards de l'Ouest-Eclair apposés partout, qu'un assassinat avait été commis pendant la nuit dans la rue Saint-Malo. Nos crieurs se répandaient en même temps dans toutes les rues, et les Rennais grâce à nos diverses éditions, apprenaient dans tous ses détails le crime odieux dont l'immeuble du n° 34 de la rue Saint-Malo venait d'être le théâtre. 

Une courte description des lieux fera mieux comprendre ce qui s'est passé. L'immeuble n° 34 occupé par M. Cochet, boulanger, a conservé l'aspect pittoresque qu'avaient autrefois les vieilles rues de Rennes surtout dans les parties qui n'avaient pas souffert du terrible incendie de 1720. 

Le rez-de-chaussée comprend une boutique derrière laquelle se trouve une pièce servant de salle à manger cette pièce communique avec une cour dans laquelle on remarque un hangar dans lequel M. Cochet place son bois de chauffage. Au fond de cette seconde pièce se trouvent deux escaliers l'un conduisant au premier étage et le deuxième au sous-sol c'est dans ce sous-sol que sont installés les différents services de la boulangerie pétrin mécanique, four, etc.,

Dans la cour de nombreux tas de bois qui permettent d'atteindre facilement le sommet d'une barrière en bois qui sépare celle cour d'une autre faisant partie de l'immeuble occupé par M. Leduc, aubergiste, 38 rue Saint-Malo. Cette dernière cour communique par un couloir avec la rue. A l'extrémité de la barrière en bois que sépare les deux propriétés, on remarque un vieux mur qui n'atteint pas plus de 1m70 à un certain endroit. Un jeune homme agile peut donc l'escalader très facilement.

Au premier étage de l'immeuble que nous décrivons se trouvent deux chambres l'une donnant sur la cour, l'autre sur la rue Saint-Malo la première est habitée par M. Cochet père et son jeune fils âgé de 11 ans la deuxième était occupée par Mlle Anna Cochet, 21 ans, sa fille pour pénétrer dans sa chambre, Mlle Cochet devait traverser celle de son père et de son frère.

La victime.

Un mot, maintenant, de Mlle Anna . Mlle Cochet avait été élevée par les sœurs de Saint-Laurent et faisait partie de plusieurs œuvres.

Comme une véritable mère de famille, elle veillait, avec un soin jaloux, à l’éducation et à l'instruction de son jeune frère Alexandre ce dernier adorait sa sœur.

Les amis de la famille Cochet rappelaient avec la plus grande émotion la joie qu'éprouvait, il y a quelques semaines, l’infortunée jeune fille, lorsqu'elle fut appelée à accompagner son cher petit André, le jour de sa première communion. Hélas ! la joie, le bonheur de cette famille si respectable devaient être de bien courte durée. Très sérieuse, très active, Mlle Anna Cochet, en l'absence de sa mère malade depuis de longues années, dirigeait la maison de son père et tenait le magasin et se trouvait forcément en rapport avec les ouvriers de M. Cochet.

Parmi ces derniers, s'était trouvé, d'avril 1005 à avril 1906, un certain Jules Louvet, alors âgé de 21 ans. Le jeune homme n'avait pas tardé à remarquer Mlle Cochet et a apprécier ses qualités da jeune personne accomplie et de ménagère, et un beau jour il s'était mis en tête d'obtenir sa main.

Tout d'abord, il tenta de faire accepter à la jeune fille quelques menus cadeaux, que celle-ci s'empressa de refuser.

Louvel ne se découragea pas et commença une cour de moins en moins discrète qui finit par importuner Mlle Cochet laquelle s'en plaignit à son père. Ce dernier ne voulant pas plus de Louvet pour gendre que sa fille n'en voulait pour mari, lui fit comprendre que mieux valait se séparer et, bref, il congédia le jeune ouvrier.

Que se passa-t-il dans l’âme de l'ouvrier boulanger ? A-t-on affaire à un passionné fou dans l'impossibilité de vivre séparé de celle qu'il aimait ? où est-ce tout simplement un orgueilleux ayant  rêver d'épouser la fille du patron pour devenir patron à son tour et ulcéré de voir son rêve anéanti par le refus de La jeune fille de l'accepter pour époux ? Toujours est-il  que depuis son renvoi l'humeur de Julien Louvel avait complètement changé.

Au cours de ces deux derniers mois, il était devenu particulièrement sombre et peu communicatif.

Arrivons au tragique événement de vendredi la nuit.

Le crime.

Dans la nuit de vendredi à samedi, selon son habitude, M. Cochet s'était fait réveiller par son ouvrier, et à minuit il était descendu à son travail.

Soudain, vers minuit et demi, son attention et celle de l'ouvrier, nommé Pierre Rossignol, fût attirée par un bruit que ni l'un ni l'autre ne purent s'expliquer sur le moment. Etait-ce un cri ou le bruit d'une détonation ? Ils ne purent s'en rendre compte, mais tous les deux furent aussitôt certains que le bruit s'était produit

Dans la chambre occupée par Mlle Anna Cochet. Suivi de Pierre Rossignol, M. Cochet monta le plus rapidement possible Vers cette chambre et grande fut la stupéfaction des deux hommes, lorsqu'ils aperçurent Julien Louvel debout près du lit de la jeune fille et tenant un revolver à la main.

Dans le lit, Mlle Cochet gisait inanimée, la tête en sang. Elle avait été frappée bout portant de deux coups de revolver à la tempe gauche. Surprise pendant son sommeil, la malheureuse jeune fille n'avait pu opposer la moindre résistance ni lancer le plus petit appel.

Le père de la victime et Pierre Rossignol tendront d'arrêter Louvel, mais le misérable les bouscula, les menaçant de son arme, et parvint à s'enfuir.

Le crime ne tarda pas à être connu, malgré l'heure tardive, par les voisins qui s'empressèrent d'avertir les agents du poste de police de la rue Saint-Malo. Des mesures furent prises pour rechercher l'assassin donnèrent aucun résultat.

A 1 heure du matin, M. Deblais, commissaire du 20è arrondissement, accourait sur le théâtre du crime, procédait aux premières constatations légales et donnait des instructions énergiques qui ne tardaient pas à être confirmées par M. Queutier, commissaire central.

L'enquête.

L’une des premières questions que se sont posées les magistrats enquêteurs a été celle-ci :« Comment Louvet a-t-il pénétré dans la chambre de Mlle Cochet ? » Nos lecteurs n'ont pas oublié que Louvet avait travaillé chez le père de sa victime, il connaissait donc tous les usages, toutes les habitudes de son ancien patron. De plus, il savait ouvrir la porte du couloir qui fait communiquer la cour de l'immeuble du  38 avec la rue, car dans ce couloir prend naissance un escalier qui conduit à plusieures chambres, dont l'une a été habitée par Louvet pendant son séjour chez M. Cochet. Tout porte à croire que Louvel a profité du secret qu'il connaissait pour ouvrir la porte, traverser le couloir, franchir l'endroit où le mur est un peu démoli la barrière qui sépare l'immeuble de M. Cochet de celui de M. Leduc. Ensuite, il lui a été très facile de pénétrer chez son ancien patron, car aucune des portes de derrière n'est fermée à clef pendant la nuit, seule la porte de la boutique qui donne sur la rue Saint-Malo est fermée tous les jours vers 9 heures du soir.

Quelques personnes pensent même que Louvet a très bien pu pénétrer chez M. Cochet beaucoup plus tôt que l'on ne pense et se cacher dans la cuisine qui se trouve en arrière des pièces principales du rez-de-chaussée.

Louvel avait du reste pris certaine mesures qui tendent à prouver que son crime a été très sérieusement prémédité.

Dans la chambre de l'hôtel qu'il occupait il se servait pour placer sa bougie d'un petit vase dans lequel on met ordinairement des fleurs artificielles le vase et la bougie ont été retrouvés avec une boite d'allumettes dans la chambre du crime. Interrogé sur ce fait, il a répondu qu'il avait pris une bougie pour s'éclairer. Il a reconnu qu'il avait allumé la bougie pour monter l’escalier, traverser la chambre de M. Cochet dans laquelle dormait son jeune fils et pénétrer dans la chambre de Mlle Cochet cette dernière s'étant réveillée à ce moment et allant crier de peur il avait tiré sur elle les deux coups de revolver. Mais tout porte à croire que le criminel ne raconte pas à ce sujet la vérité, et que sa victime dormait très profondément lorsqu il l'a tué.

En effet, il nous a été donné de voir sur son lit, dans la position où il a été trouvé par son père, le cadavre de la malheureuse jeune fille. Ainsi que le pensent d'ailleurs les magistrats instructeurs, elle n’a fait avant la mort aucun mouvement le lit n'est pas dérangé, les bras sont presque croisés sur la poitrine, l'attitude générale du cops est celle d'une personne qui repose tranquillement la figure presque souriante a conservé un calme parfait et ne montre rien qui puisse faire penser que la victime ait éprouvé le moindre moment de crainte, d'effroi ou de terreur.

En outre les deux coups de revolver ont été tirés coup sur coup, les blessures faites à la tempe gauche par les deux balles se confondent et Louvet a dû placer la bouche du canon sur le front même de sa victime, avant de tirer.

L'assassin.

Julien Louvel est âgé de 23 ans il est né à Sens-de-Bretagne et exerce depuis longtemps le métier de boulanger, qu’il appris dans sa commune. 

jules louvel

Condamné aux travaux forcés à perpétuité le 14 novembre 1906. Il a été embarqué le 18 juillet 1907 pour la Guyane, il s'est évadé en fin d'année 1909.

 Il possède un physique peu sympathique il est d'une taille ordinaire, 1 m70 environ, et paraît très bien constitué ses amis affirmaient qu'il est très fort et qu il soulève sans difficulté des charges très lourdes. Cependant, il a été réformé par le conseil de révision.

Les personnes qui le connaissent déclarent qu'il ne buvait pas, que c’était même un bon travailleur elles ne comprennent pas comment il a pu commettre ce crime. il a travaillé chez plusieurs patrons qui, tous, ont été assez satisfaits de sa conduite. En quittant Sens de Bretagne, il va à Montfort-sur-Meu chez M. Legros, boulanger puis il vient à Rennes chez M. Melisset rue du faubourg de Fougères ensuite, chez M. Tuai, rue Saint-Michel il reste assez longtemps chez ce patron et il le quitte en l'an 1906  pour entrer chez M. Cochet, ou il resta jusqu'en avril 1906 c'est à cette époque que M. Cochet le mit à la porte de chez lui pour les motifs que nous avons exposés.

Depuis son départ de cette maison, Louvel se montrait taciturne, fuyait ses anciens amis, parlait peu, buvait plus que par le passé! Ses habitudes paraissaient changées. S'il rencontra des personnes habitant la rue Saint-Malo, il ne manquait jamais de leur poser cette question « Avez-vous vu les Cochet ? Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ? » Plusieurs même étaient surprises de cette attitude qui parait assez étrange.

En outre, il travaillait peu, allait souvent chez son oncle, M. Moreau, rue d'Antrain, qui s'efforçait de lui donner de bons conseils. En mai dernier, il reste 15 jours chez M. Denieul, boulanger, rue d'Antrain, puis déclare vouloir quitter Rennes, se rend à Vitré, chez M. Marin, où il reste peu de temps. Enfin, Il était depuis mardi seulement chez M. Cosnier.

11 y a quinze jours, il acheta il un ami affirme t-il, un revolver. Se trouvant avec quelques amis, il leur dit « Tenez, j'ai là un révolver » il faut que je l'essaye, pour voir si je saurais m'en servir ». Et joignant l’acte à la parole, Il tira un coup de l'arme dans la plaque d'ardoise de l'urinoir qui fait face au bazar Parisien.

L'arrestation de l'assassin

Dès que M. Deblais eut appris par M. Cochet, le nom de l'assassin, il s'empressa d'en avertir M. Queutier, commissaire central, lequel, nous l'avons vu, confirma les instructions données par M. Deblais en vue d'arrêter Louvet .

La gendarmerie fut de son côté avertie des mesures rigoureuses ayant pour but d'éviter le suicide ou la fuite du criminel furent prises et les agents de service ne tardèrent pas à apprendre que, depuis quelques jours, Louvet travaillait chez M. Cosnier, boulanger, 37 rue du faubourg de Brest, et qu'en outre il avait une chambre chez Mme Huguet, surnommée la mère des boulangers, 15, rue de Penhoët.

MM. Lanoë, sous-inspecteur de la sûreté, Bidault, Berthault et Revault, agents du poste de la rue Saint-Malo, s'empressèrent de se rendre chez M. Cosnier. là, après quelques explications et après avoir exposé à ce dernier le but de leur tardive visite, M. Cosnier s'empressa de se mettre à leur disposition et leur indiqua la chambre qu'occupait chez lui l'assassin. Dans leur précipitation, les agents allaient arrêter un brave jeune homme, employé chez M. Cosnier depuis très longtemps, lorsque celui-ci s'écria « Non, non, ce n est pas lui l'assassin allez un peu plus loin  Louvel était couché lorsque les agents pénétrèrent dans sa chambre. Au bruit, il se dressa subitement, saisit le revolver qu'il avait déposé sur une table auprès de son lit et tira trois coups. Ces trois coups ont-ils été tirés sur les agents.

Interrogés ces derniers ne veulent rien affirmer. Louvel, lui, a déclaré M. le juge d'instruction qu'il avait tenté de se suicider il porte du reste au-dessus de l'œil droit une blessure qui parait provenir d'une arme à feu.

Les magistrats instructeurs se sont transportés, samedi à trois heures, l'après midi, au domicile de M. Cosnier afin de faire des constatations, des expériences même qui pourront peut-être les éclairer définitivement sur cette partie de l'affaire. Quoi qu'il en soit, les agents ne s'inquiétèrent pas des menaces ou de l'attitude de Louvel. Ils s'élancèrent sur lui et le mirent dans l'impossibilité de se servir à nouveau de son revolver. Louvet alors s'habilla rapidement, se laissa mettre les menottes, et suivit les agents qui le conduisirent au poste de la Mairie où l'attendaient les magistrats. Ces derniers, après avoir constaté son identité, lui ont posé quelques questions puis à 2 heures du matin, ils ont décidé de prendre un peu de repos.

DETAILS RETROSPECTIFS

Avant le crime

L'assassin s'était rendu dans la soirée chez M. Huguet, débitant, 13, rue de Penhoët, A la descente des boulangers , lequel M. Huguet s'occupe de loger les ouvriers boulangers et de les placer. Vers dix heures moins le quart, nous dit M. Huguet, Louvel monta dans la chambre commune, où il avait demeuré avant d’être employé chez M. Cosnier et où se trouvait sa malle. Il redescendit quelques instants après avec un tricot, qu'il tenait roulé, puis il partit, à dix heures.

« Qu'a-t-il fait de dix heures à minuit C'est ce que, naturellement, je ne sais pas. La première nouvelle que j'en eus est que M. Leduc, le débitant voisin de M. Cochet, vint me réveiller pour me demander si je n'avais pas un ouvrier à lui fournir de suite. Il me dit que c'était pour M. Cochet, qui est mon ami intime, dont la fille venait de mourir. Comme j'insistais, M. Leduc me dit Elle vient d'être assassinée par Louvel .

« J'en demeurai tout suffoqué, attendu que quand Jules avait pris congé, il paraissait très calme et que rien ne laissait prévoir l'acte qu'il allait commettre. Quelque temps après, je reçus la visite de la police, qui vint enlever sa malle. - Quelle impression Louvel vous faisait t-il  demandons-nous à M. Huguet. Je le connaissais très peu  répondit, ne l'ayant eu qu'en passant ici. Il me faisait l'effet d'un charmant garçon, un peu renfermé. Lundi, il n'est pas sorti il est resté toute l'après-midi assis au coin de cette table, près de la fenêtre. Il paraissait préoccupé. J'ai mis cette inaction sur le compte de la fatigue ou d'une autre cause analogue.

Il n'est pas à votre connaissance qu'il ait confié à quelqu'un l'intention de tuer celle qu'il aimait.

Non cependant, à la suite de l'achat de son revolver, qui date de quinze jours à trois semaines, quelques-uns de ses camarades lui ayant demandé ce qu'il voulait faire de cette arme, Louvel aurait répondu : « Ça servira à quelqu'un ».Personne ne prêta attention à ce propos. « On m’a dit aussi qu'il avait eu des idées de suicide et, un jour, il était même allé chercher du poison chez un pharmacien, qui avait refusé de lui en livrer sans  ordonnance ».

Ce que dit un camarade

 En quittant le débit «  à la descente des Boulangers », nous nous sommes rendu rue Saint-Melaine où habite, chez sa mère, M. Thébault, qui travailla deux mois chez M. Cochet avec l'assassin et qui va entrer d'ici quelques jours dans la boulangerie Marin, de Vitré, où passa quelque temps le meurtrier.

Il nous dépeint celui-ci comme étant peu communicatif et causant rarement.

M. Thébault savait que Jules Louvel poursuivait de ses assiduités avec Mlle Cochet, et que celle-ci repoussait impitoyablement ses avances.

De se voir ainsi rebuté, l'ouvrier amoureux en avait conçu un grand désappointement.

Notre interlocuteur nous ayant laissé entendre qu'il le croyait jaloux, nous demandons s'il sait de qui.

Je ne sais pas trop, nous dit le jeune homme, peut-être de moi. Et pourtant, c'eût été sans motif. Peut-être se figurait il à tort que la fille du patron me préférait à lui ».

Chez M. Cosnier

Revenons à la soirée du crime.

L'ouvrier boulanger ne s'était pas attardé, comme on pourrait le croire, dans les auberges au sortir du débit Huguet, il était rentré directement chez son patron.

Il était dix heures et demie environ, quand Louvel rentre, nous a déclaré M. Cosnier. Il se mit aussitôt à travailler et rien ne trahissait chez lui la moindre préoccupation. Au contraire, il était très gai et sifflait en faisant la pâte.

Sa tâche finie, il se retira. Je crus qu'il allait se coucher et je ne me souciais pas de lui, quand, à une heure du matin, je fus réveillé par les appels des agents. je descendis ouvrir mon magasin et le chef de la Sûreté, qui était accompagné de trois agents en civil, me demanda : « Avez-vous ici un nommé Louvet ?» A ce moment, j'ignorais le nom de famille de mon nouvel employé, que j'appelais tout simplement Jules. Je m'inquiétai du but de cette visite étrange et M. Lanoé me mit au courant des faits ».

M. Cosnier nous rapporte sur l'arrestation les détails que l'on connaît et comment les agents durent essuyer les coups de revolver de Louvel. Entre temps, M. Cosnier se demanda comment son ouvrier avait bien pu s'y prendre pour sortir sans qu'il l'ait entendu. Il s'aperçut alors que la barre qui maintenait le portail de fer qui donne du boulevard de l'Ouest accès dans sa cour avait été enlevée et que les portes fermées à clef avaient été ouvertes de force. D'ordinaire, M. Cosnier maintenait la barre de sûreté par un cadenas, mais vendredi il avait oublié de prendre cette précaution qui, d'ailleurs, n'aurait pas empêché Louvel de sortir, l'escalade du portail étant des plus faciles. « Quoique je n'aie Louvel à mon service que depuis quelques jours, nous a dit M. Cosnier, je n'avais qu'à me louer de lui. Il était d'une activité et d'une complaisance très grande. Aussi, j'étais bien décidé à le garder, ne l'ayant cependant pris au début que provisoirement ».

Une arrestation

Tandis que les agents étaient lancés la recherche de Louvel, deux d'entre eux aperçurent dans une rue non éloignée du lieu du crime un jeune homme dont le costume correspondait avec celui qu'indiquait le signalement de l'assassin.

Les agents s'approchèrent de lui et l’un d'eux lui dit « Allons Louvel, viens nous parler ». Le jeune homme interloqué se laissa aborder par les agents qui le prirent chacun par un bras et le conduisirent au poste. Là on s'aperçut de la méprise, née par la similitude du costume, un complet gris et un chapeau marron. Le jeune homme était un étudiant, M. X. Il expliqua aux agents qu'il avait passé sa soirée au Café des Patriotes jusqu à minuit et fut alors relâché, tout joyeux de l'aventure qu'il raconta à ses camarades.

A SENS-DE BRETAGNE

La jeunesse de Julien Louvel

Sens, 30 juin. La nouvelle du crime dont s'est rendu coupable la nuit dernière Julien Louvel a causé dans la paisible commune une profonde émotion.

La stupéfaction a été générale, car Louvel était bien considéré dans la commune où il avait laissé d'excellents souvenirs. Louvel est le fils d'une famille de cultivateurs. Il y a une quinzaine d’années à la suite de dissensions familiale, son père et sa mère se séparèrent par consentement mutuel. Le père, un bon travailleur, alla se fixer à Combourg Mme Louvetl une excellente mère de famille, entra au service de M. et Mme Briand, boulangers au bourg de Sens-de-Bretagne.

D'un commun accord entre ces deux époux, la garde des quatre enfants, issus du mariage, fut confiée à la mère. Julien Louvel suivit les cours de l'école primaire, ses trois sœurs reçurent l'instruction des sœurs de la commune. A l'âge de 13 ans, Julien Louvel ayant obtenu son certificat d'études primaires, alla rejoindre à Paris ses deux sœurs aînées qui l'y avaient précédé et entra en qualité de commis dans un magasin. Il y resta jusqu'à l'âge de 17 ans. A ce moment, il revint à Sens et y passa deux mois pour guérir d'une anémie résultant, disait-il, de fatigues excessives. Il résolut alors d'entrer dans la boulangerie. Depuis lors, il ne revint plus à Sens qu'à de longs intervalles.

Julien Louvel avait, parait-il, l'intention de venir s'établir comme patron boulanger au bourg de Sens et, dans ce but, il était entré en pourparlers avec un boulanger de la localité pour ramener à lui céder son fonds. Ses démarches ne réussirent pas et, dès lors, il ne vint que très rarement.

A Sens comme à Rennes, Julien Louvel passait pour être un aimable jeune homme, très doux et d'une bonne conduite. Aussi on s'explique difficilement dans son pays le crime affreux qu'il a commis.

LA JOURNEE D'HIER

La matinée

Vers 7 heures du matin, Louvel a été transféré du poste de la Mairie au poste de la rue de Saint-Malo. A ce moment, plusieurs ouvriers et ouvrières qui se rendaient à leur travail avaient envahi la rue et stationnaient devant la maison du crime à la vue du criminel, des cris « à mort ! » se sont fait entendre et sans l'intervention des agents, Louvel aurait reçu de nombreux horions. Du reste, pendant toute la journée, de nombreuses personnes n'ont pas cessé de Stationner dans la rue Saint-Malo.

Arrivé au commissariat de police du 2è arrondissement, Louvel a déclaré qu'il avait faim. Un agent lui a donné un morceau de pain sec et un bol d'eau, le malheureux a mangé avec appétit et ne paraissait pas avoir la moindre émotion. Nous avons pu le voir dans ce poste. Assis sur une chaise, les menottes aux mains, il regardait d'un œil hagard ses gardiens. Près de lui, on remarqua sa malle, une malle chapelière, recouverte d'une toile jaunâtre, saisie chez M. Huguet, le restaurateur de la rue de Penhoët. C'est dans cette malle qu'il avait pris vendredi soir, vers 9 heures 45, enveloppé, croit-on, dans un tricot, le revolver quil devait lui servir à accomplir son crime, Ce revolver est un ancien modèle Lefaucheux à broche, du calibre 7, il est en très mauvais état. 

La confrontation

A 8 heures, MM. Le Bourdelès, procureur de la République, Guesdon, juge d'instruction, Queutier, commissaire Cernai, docteur Perin de la Touche, Gilbert, photographe, Chave, armurier, se sont rendus près du cadavre de la jeune fille dans le but de faire les constatations qui devaient précéder la confrontation et pour procéder quelques interrogatoires.

A dix heures, Louvel a été extrait du poste de police et conduit chez M. Cochet. Dans le court trajet qu'il devait parcourir à l'aller comme au retour, il a dû, à nouveau, être protégé contre les menaces de la foule ; les cris de : « à mort, l'assassin ! »  ne cessaient pas de se faire entendre.

Arrivé à la maison où il a accompli sur crime, il a monté l'escalier sans laisser entrevoir la plus légère émotion. Avant son entrée dans la chambre mortuaire, les magistrats ont tenu à éclaircir un point de l’instruction

On se rappelle que Louvel avait tiré deux balles sur sa victime, trois sur les agents, on n'aurait dû trouver qu'une balle dans le barillet. Or lorsque larme a été retrouvée le barillet contentait trois balles. Louvel a expliqué ce fait, en affirmant qu'il avait rechargé son arme dans le but de se suicider.

On lui a donné l'ordre de pénétrer dans la chambre de Mlle Cochet ce moment, il a très légèrement pâli mais il na pus tardé à reprendre son sang-froid et répondre à toutes les questions qui lui étaient posées. Mais pas un geste, pas une parole ne sont venus indiquer que le misérable regrettait d'avoir tué une jeune fille, qu'il prétend avoir aimée.

Les magistrats lui ont fait reconstituer la scène du crime et Louvel a saisi avec énergie de la main gauche le vase et la bougie dont nous avons parlé et, après avoir indiqué comment il avait pénétré dans la chambre, a montré, en appuyant son coude gauche près de l'oreiller sur lequel reposait la tête de Mlle Cochet, comment il s'était placé pour tirer.

Dans sa fuite, Louvel avait laissé dans la chambre de sa victime son chapeau de paille il n'a pu expliquer il quel moment ce chapeau était tombé à terre ; c'est probablement en fuyant.

A 10 heures Louvet était reconduit au poste de police et à 11 heures la voiture cellulaire le transportait à la maison d'arrêt. Dans l'après-midi.

Les constatations faites au domicile de M. Cosnier dans la chambre occupée par Louvel ont permis d'acquérir la certitude que ce dernier avait bien tiré trois coups de revolver au moment de l'arrivée des agents. En effet, trois balles ont été retrouvées, dont une par terre et plusieurs débris de plomb étaient dans le lit ou avaient pénétré dans le mur. L'instruction finira par nous faire connaître dans quel but exactement Louvel a tiré ces trois coups de revolver.

A trois heures a eu lieu, en présence de M. le commissaire Deblais, la triste cérémonie de la mise en bière de Mlle Cochet. Les draps du lit et les deux oreillers ont été déposés au bureau de police.

La taie d'oreiller sur laquelle reposait la tête de la victime était maculée d'une large flaque de sang.

A quatre heures, le cercueil contenant la dépouille mortelle de Mlle Cochet a été placé dans un corbillard. Une assistance nombreuse, profondément impressionnée par ce spectacle, se pressait devant la maison mortuaire.

Le corps a été transporté dans l'amphithéâtre, où M. le docteur Perrin de la Touche a procédé à l'autopsie dans la soirée. Mlle le Cochet avait un frère aîné, en ce moment soldat au 70è régiment d'infanterie à Vitré. Prévenu par dépêche, le jeune homme est accouru partager avec son père, son jeune frère et sa famille leur douleur.  Pendant toute la journée, MM. Cochet ont reçu de nombreuses preuves de sympathie.  M. l'abbé de la Villeauconte, chanoinne honoraire curé de Saint-Aubin en N.-D. de Bonne-Nouvelle, est venu leur rendre visite, aussitôt après le départ des magistrats. Souhaitons que ces marques de sympathie, auxquels nous tenons à joindre les nôtres, puissent être pour cette famille la preuve que leur douleur est partagée par  leurs amis, par toute la population et leur donner quelques consolations.

Les obsèques

Les obsèques de Mlle Anna Cochet auront lieu mardi 3 juillet, à Saint-Aubin. Voici le texte de la lettre de faire-part:

Vous êtes prié d'assister au Convoi et à a messe d’enterrement qui auront lieu le mardi 3 juillet 1906. à dix heures du matin, ainsi  qu’aux messes qui seront dites le même jour  depuis 6 heures jusqu’a midi en l’église paroissiale de Saint-Aubin en Notre-Dame pour le repos et salut éternel de l'âme de Mademoiselle Anna Cochet, décédée chez ses parents, Rennes, rue Saint-Malo 34, le 30 juillet 1906 dans sa 21è année, munie des Sacrement de l'Eglise.

De Profundis !

On se réunira à la maison mortuaire à neuf heures trois quarts.

L’inhumation aura lieu à l'ancien cimetière.

De la part de : M et Mme Cochet, son père et sa mère. MM. Emmanuel et Alexandre Cochet, ses frères.

M. et Mme Auguste Cochet, Mme Lesage, Mme veuve Loisel et ses enfants, M. et Mme Aufray et ses enfants, me veuve J- M. Cochet et ses enfants, Mme Modeste et Anne Marie cochet, religieuse ursulines à l’abbaye de Monfort. L’abbé P, Cochet, recteur de  lou du lac , ses oncles et tantes, cousins et cousines,

Et des familles  Jehannin, Demaure, Cochet, Simon, Chubert, Brossault, Texier et Agaesse.

Nous tiendrons nos lecteurs au courant de tout les détails nouveaux qui nous parviendrons sur ce drame qui a jeté dans notre ville le plus légitime émoi. 

 

Le crime de la rue St-Malo Avant l'audience d'aujourd'hui, 11 novembre 1906

Les dernières audiences de cette dramatique session, qui a déjà vu prononcer une condamnation a mort, vont être consacrées aux débats du crime de la rue Saint-Malo qui, le 1er juillet dernier, mit en émoi Rennes et toute la région. On resta frappé de stupeur en apprenant qu'un jeune homme de 23 ans, pour se venger d'une honnête jeune fille qui n'avait pas voulu l'épouser, avait trouvé tout simple de l'assassiner lâchement pendant son sommeil. Avant les débats qui s'ouvrent aujourd'hui et qui vont durer deux jours, nous croyons utile de rappeler les faits au souvenir de nos lecteurs et de dire ce qu'était la victime et ce que l'on sait du meurtrier.

L'accusé

L'accusé, Julien Louvel, ouvrier boulanger, aujourd'hui âgé de 23 ans et demi, est originaire de Sens-de-Bretagne, et la seule excuse peut-être que l'on pourra trouver à son crime est que son enfance s'est écoulée entre des parents désunis.

Son père et sa mère, honorables et laborieux, tous les deux faisaient mauvais ménage et finirent par se séparer. Entre des parents désunis, les enfants livrés à eux-mêmes par la force des choses, mènent leur vie à l'aventure. A treize ans, au sortir de l'école primaire, Louvel alla rejoindre ses soeurs aînées qui, fuyant le foyer déserté, étaient allées se placer à Paris.

Les jeunes filles lui trouvèrent une place de petit commis dans un magasin où il avait à Trimer dur, le labeur étant d'ailleurs beaucoup plus dur à Paris qu'en province. Il resta quatre ans dans cette place, puis, atteint d'une anémie causée par les fatigues excessives et le surmenage, il lui fallut retourner à Sens pour se rétablir. Il se rétablit, en effet, et se décida alors d’adopter le métier de boulanger.

Quelques années s'écoulèrent. Louvel fit différentes places et atteignit son âge de 23 ans. Au cours d'avril 1905, il entrait comme ouvrier boulanger au service d'un très honorable patron boulanger de Rennes, M. Cochet, habitant rue Saint-Malo, 40.

Mlle Anna Cochet

M. Cochet avait deux enfants, un fils âgé d'une dizaine d'années et une fille, Anna, âgée d'environ 19 ans et sur le compte de laquelle les amis et connaissances de la famille ne tarissaient pas d'éloges.

Elevée par les sœurs de Saint-Laurent, qui en avaient fait une jeune fille accomplie, Mlle Cochet remplaçait au foyer paternel sa mère malade depuis nombre d'années. Très laborieuse, très active, elle dirigeait le magasin de son père et trouvait le temps quand même de s'occuper de l'instruction de son jeune frère.

Très pieuse, elle avait continué à faire partie de plusieurs oeuvres et enfin, très réservée, uniquement appliquée à ses devoirs, elle n'était point du tout coquette. Sur cette réputation absolument intacte, le système de défense de Louvel, quel qu'il soit, n'aura aucune prise.

Voilà donc les deux protagonistes du drame en présence : Mlle Cochet, uniquement occupée de ses devoirs de maîtresse de maison, et Julien Louvel, obscurément employé comme ouvrier aux travaux de la boulangerie.

Avant d'aller plus loin, il faudrait établir la psychologie de Louvel, mais nous n'avons rien pu recueillir de précis à ce propos, et pour être fixé, il faut attendre les constatations de M. le juge, d'instruction dans l'acte d'accusation ou les propos de Louvet lui-même pendant les débats. A qui avons-nous affaire ? 

A une manière d'Antony du pétrin, affolé de passion, et dominé par celle-ci au point de tuer qui ne répond pas il ses avances ? Ou Louvel est-il tout simplement un ambitieux qui avait rêvé de s'élever au-dessus de sa condition et de s'enrichir par un mariage avantageux et qui, plus tard, voyant son rêve anéanti par son refus de l'épouser se sera vengé de la façon la plus cruelle et la plus lâche ?

Toujours est-il que Louvel essaya bientôt de se faire remarquer par Mlle Cochet, dans le but de se faire agréer d'elle d'abord, pour pouvoir ensuite demander sa main. Quoique d'un physique assez peu sympathique, de taille ordinaire, Louvet n’était cependant pas mal. De plus il était bon travailleur et ne buvait pas. Peut être aurait-il pu plaire à une autre. Le certain est qu'il ne réussit pas, lui, à vaincre l'indifférence de la jeune fille.

Au cours du mois de juillet 1005. M..Cochet, quelque peu souffrant, dut rester quelques jours au lit. Mlle Cochet eut alors à aller fréquemment du magasin dans la boulangerie. Louvel, jugeant alors le moment opportun, balbutia une vague déclaration à la jeune fille et voulut l'embrasser.

Mlle Cochet se retira assez indignée, mais cependant ne dit rien à son père, de peur de faire congédier Louvet, non qu'elle tint, bien entendu, à sa présence dans la boulangerie, mais il répugnait de faire arriver de la peine à un jeune homme qui avait pu être indiscret, mais qui, une fois congédié, aurait pu rester sans travail.

Comment Louvel interpréta-t-il cette réserve ? Espéra-t-il, s'il n aimait pas vraiment finir par intimider la jeune fille et par s’imposer à force de confiance en soi et d'assurance ? Il faut croire qu'il n'interpréta pas les faits dans un sens décourageant, car, peu de jours après, à la veille de la Sainte Anne, fête de Mlle Cochet, il s'arrangea de façon à ce que la jeune fille soit forcée de passer près de lui et, au passage, glissa dans ses vêtements une bague qu il avait achetée Rennes, dans la journée

Cette fois, et du moment qu'elle n'entendait pas encourager le sentiment de Louvet, il était indispensable que la jeune fille, mit son père au courant de l'incident. C'est ce qu'elle fit. L'honorable M. Cochet ne prit rien au tragique. Tout au contraire. Evitant de froisser son ouvrier, il le prévint que sa fille ne voulait pas se marier et qu'il eût dès lors à ne pas insister. En même temps, il lui rendit la bague. Louvel ne dit plus rien, parut se résigner et deux mois après. il se rendait chez le bijoutier qui lui avait vendu la bague et échangeait le bijou contre une parure de boutons de chemise.

Quelques mois passeront encore, et M. et Mlle Cochet, très tranquilles, ne pensaient plus à Louvet, quant M. Cochet, ayant l'intention de transformer son outillage, réfléchit alors qu'il n'aurait plus besoin d'ouvriers boulangers de la catégorie à laquelle Louvel appartenait, Il prévint donc tout naturellement ce dernier qu'il n'aurait plus besoin de ses services à un moment donné, à temps pour qu'il eût le temps de se retourner et de trouver du travail. Louvet accepta son congé pour la fin d'avril 1906, chercha et trouva du travail à Rennes et partit au jour dit.

Mais il dut s'imaginer qu'il s'y était mal pris et que peut-être réussirait-il en prenant la jeune fille par le sentiment qui avait le plus de prise sur son âme : la piété. Le lendemain soir de son départ, sachant que Mlle Cochet se trouverait seule dans le magasin de son père, il s'y présenta, sous prétexte de chercher -un vêlement qu'il avait, dit-il, oublié. Et il remettait à la jeune fille, comme souvenir, un chapelet qu'il avait, dit-il acheté à son intention. Mlle Cochet sut encore une fois reconduire sans le blesser, et lui parti, pensait bien n'entendre jamais plus parler de Louvet.

Avant le drame

Nous disions plue haut que notre enquête ne nous avait pas révélé ce qu'était exactement Louvet. Ce qui laisserait penser que c'était un ambitieux désireux d'y arriver en épousant la fille de son patron, plutôt qu'un amoureux désintéressé et la nature des propos qu'il tint après son départ de la rue Saint-Malo. M. Cochet, en effet, ne tarda pas à être prévenu que Louvel racontait à ses camarades ce qui s'était passé entre lui et Mlle Cochet, en changeant complètement les rôles. D'après lui, c était Mlle Cochet qui lui avait fait des avances et lui qui les avait refusées c'était, par exemple. Mlle Cochet qui lui avait offert la parure de boutons de chemise.

On comprend que la jeune fille et M. Cochet aient été très affectés de ces indignes calomnies et qu'ils aient jugé à propos d'y mettre un terme. Pour y arriver, M. Cochet alla trouver M. Huguet, ancien placier des garçons boulangers, qui avait, sauf erreur, placé Louvel chez lui. Il le mit au courant des incidents et lui demanda de faire entendre raison au garçon boulanger. Huguet y consentit et quelques jours après ceci se passait vers la mi mai 1906 - il apportait à M. Cochet un papier sur lequel Louvet reconnaissait que ce qu'il avait dit de Mlle Cochet n'était pas vrai et promettait de ne pas recommencer. Du reste, pour qu'il ne fût pas tenté de revenir sur sa parole, M. Huguet lui avait fait verser 10 francs, qui furent remis au bureau de bienfaisance.

Le plus grave pour Louvel, c'est que la découverte de sa mauvaise action était l'effondrement de ses espérances, déjà si compromises auparavant. Car, après ce que Mlle Cochet savait qu'il avait dit d'elle, il était vraiment peu probable qu'il put jamais être accepté dans cette famille. A cet effondrement vint s'ajouter l'humiliation d'avoir été forcé de reconnaître, devant ses camarades, qu'il s'était moqué d'eux en se donnant les airs avantageux d'un homme après lequel courent les honnêtes filles.

Il en conçut un tel dépit qu'il voulut quitter Rennes et alla s'embaucher à Vitré. Là, pour des raisons inconnues, mais que l'acte d'accusation fera sans doute connaître, son mécontentement de l'échec et son humiliation se tournèrent en une haine violente contre la famille Cochet qui n'avait pourtant fait que se défendre.

Tout à coup, son parti est pris. Il se fait régler son compte chez son patron de Vitré, revient à Rennes, trouve du travail chez M. Cosnier, boulanger, faubourg de Brest, n° 37, et quelques jours après achetait un revolver du calibre 7 millimètres et des cartouches chez M. Jouan, arquebusier.

Le crime

Quelques jours se passent encore. Enfin, arrive le jour fatal, le 29 juin 1900. Le soir venu, Louvel part de chez son patron et va causer avec des camarades ouvriers comme lui, occupés chez M. Briot, boulanger, rue Legraverend. Il reste quelque temps avec eux, les quitte vers onze heures, puis rentre ostensiblement chez M. Cosnier. Mais la, au lieu de se coucher ou de se préparer à son travail, il prend son revolver, une bougie et un petit vase de porcelaine qui lui servait de chandelier, puis il s'achemine vers la demeure de M. Cochet.

Tout était fermé chez M. Cochet, mais la cour de la maison n'est séparée de celle de la maison voisine, au n° 38, que par une palissade en planchers facile à franchir. De plus, Louvel savait comment ouvrir la porte du couloir de la maison du n°38 qui donne accès à la dite cour et à la palissade. En arrivant, Louvet s'introduisit donc dans la couloir, puis dans la cour du n° 38, escalada la palissade à l'endroit où se trouve une porte donnant accès d'une cour à l'autre et fermée au verrou du côté de M. Cochet.

Il ouvrit cette porte de façon pouvoir fuir plus facilement, puis il écouta. Dans la boulangerie, au rez-de-chaussée de la maison, M. Cochet et son ouvrier, M. Rossignol, travaillaient à pétrir et préparer les fournées de la nuit. Louvet pouvait donc avancer. Il trouverait la jeune fille seule.

Le premier étage de la maison Cochet comprend sur la rue Saint-Malo, la chambre à coucher de Mlle Cochet, une autre chambre où M. Cochet père et son jeune fils ont chacun leur lit, une pièce servant de dépôt aux farines, avec un escalier permettant de descendre dans la cour.

Louvel se déchaussa pour ne pas faire de bruit, monta l'escalier à pas de loups, traversa le magasin à farine. Traversa ensuite la chambre de M. Cochet où le petit garçon dormait seul, puis s'introduisit dans la chambre de Mlle Cochet.

Là il alluma la bougie qu'il avait apportée. La jeune fille, sans défiance, reposait paisiblement.

Que se passa-t-il alors, exactement ? Si nous sommes bien informés, voici ce que le misérable aurait prétendu devant M. le juge d'instruction

Quand je suis entré dans la chambre, Mlle Cochet dormait mais quand j'ai allumé la bougie elle s'est réveillée, a eu peur et a crié. Je lui ai alors dit que je ne lui voulais pas de mal, mais que je préférais mourir du moment qu’elle ne voulait pas de moi et que j’allais me faire sauter la cervelle devant elle et à l'instant. Affolée. Mlle Cochet a encore crié. Alors, pensant que les cris avaient été entendus de M. Cochet et que ce dernier allait venir j'ai perdu la tête et ai alors tiré deux coups de revolver dans la tête de la jeune fille.

Mais il ne parait pas que ce soit vrai. En effet, M. Cochet, puis les voisins, puis la police et la justice lors de l'enquête, tous ont remarqué que la physionomie de la pauvre jeune morte était calme, et le corps dans une position de repos le plus tranquille le lit était parfaitement en ordre. Très certainement la jeune fille ne s'était pas réveillée, et n'avait ni parlé, ni supplié, ni crié. Il parait certain, tout au contraire.

Que aussitôt son entrée dans la chambre et après avoir allumé la bougie pour ne pas manquer sa victime, Louvel s était approché du lit, avait approché le canon du revolver de la tempe gauche de l'infortunée jeune fille et l'avait tuée raide de deux bal- les dans la tête.

La fuite

Cependant M. Cochet avait cru entendre que quelque chose d'anormal se passait dans la chambre de sa fille. Celle-ci poussa- t-elle un cri au moment où le revolver la foudroyait ? est ce le bruit de la détonation que perçut le malheureux père Toujours est-il qu'inquiet, il s'approcha au bas du petit escalier faisant accéder dans le magasin à la chambre de Mlle Cochet et monta quelques marches en criant : « Anna ? Est-ce toi qui a appelé ? » Pas de réponse.

Bien que la porte du haut de l'escalier fût ouverte, il ne perçut pas de lumière non plus, Louvel, en entendant crier, ayant précipitamment soufflé la bougie. Un moment, M. Cochet crut s'être trompé et il allait reprendre son travail, quand il entendit, et toujours dans la chambre de sa fille, comme le bruit d'un meuble qu'on renversait.

Il revint à la boulangerie, alluma une lampe et monta, quand il pénétra dans la pièce, il sembla qu'un projectile, un objet quelconque venait de frapper la cloison à côté de lui, comme si on avait voulu le viser et l'atteindre. Il éclaira le lit de sa fille. A sa grande stupeur et à sa violente émotion, Louvel était debout a côté, le revolver encore fumant à la main.

M. Cochet posa sa lampe et d'un bond, saisit Louvel en lui criant. Que fais-tu, misérable ? Louvel voulut se dégager et fuir, mais M. Cochet le tenait solidement. Tout en se débattant, Louvel réussit toutefois descende l'escalier du magasin et à traverser la boulangerie, toujours maintenu par M. Cochet.

Là, se trouvait M. Rossignol, ne sachant que penser de ce qui se passait. Il allait prêter main forte à son patron, mais Louvel, l'ayant menacé de son revolver, il eut un moment d'hésitation bien naturel. D'autre part, M. Cochet réfléchit que pendant qu'il maintenait le misérable, son enfant pouvait avoir besoin de soins urgents. Il lâcha donc Louvet, qui, par la porte de la palissade, gagna le couloir du numéro 38, puis la rue Saint-Malo et s'enfuit.

L'arrestation

Tandis que l'assassin fuyait, M. Cochet montait près de son enfant et ne pouvait que constater sa mort. Nous laissons à penser son désespoir Bien qu'il fut alors près d'une heure du matin, les voisins prévenus de l'affreux malheur, ne tardèrent pas à accourir tandis qu'on prévenait la police.

Il ne parait pas que Louvel ait eu l'idée de se soustraire aux recherches de la justice. En effet, il retourna rue de Brest au domicile de son patron et attendit. Il n'attendit pas longtemps, car un quart d'heure après, M. l'inspecteur de police Lanoë et le brigadier Jacques réveillaient M. Cosnier et se faisaient Indiquer la chambre de l'assassin. M. Cosnier les y mena.

On se souvient que quand les agents pénétrèrent dans la chambre, Louvel tira plusieurs coups du revolver qui lui avait servi à tuer Mlle Cochet, sans qu'on ait pu, croyons-nous, établir s'il avait ou non visé les courageux agents. Louvet prétendit alors qu'il avait simplement voulu se suicider. Nous ignorons si à l'instruction, il a maintenu celle version bien improbable. 

Ce que dureront les débats

Tel est ce crime, (intéressant si l'on peut dire) en raison de l'obscurité qui enveloppa les mobiles de l'assassin. Aimait-il au point de ne pouvoir vivre sans la jeune fille ? En ce cas, crime pour crime, pourquoi pas le suicide ? A t’il plutôt voulu se venger ambitieux déçu et aigri ? Regrette t-il son crime ? Attendons les débats. Ceux-ci paraissant devoir durer au moins deux jours.

D'abord, il y a à entendre trente et quelques témoins. Me Marcille, l'avocat du garçon boulanger, parlera pendant Une heure et demie ou 2 heures M. l'avocat général Martin parlera pendant au moins le même temps. Les répliques prendront un certain temps. Quant à la délibération du jury elle peur être très longue.

Comme il est possible qu'on ne puisse entendre les trente et quelques témoins le premier jour et qu'il faut tenir compte d'une certains nombres de suspension d'audience, on voit que deux jours d'audience seront bien justes pour clore les débats, surtout s'il venait à surgir quelques incidents. Nous croyons toutefois pouvoir dire qu’il ne s'en produira pas ou tout au moins que soit du côté de la défense, soit du coté de l'accusation, on n'en prévoit aucun.

 

AUX ASSISES D'ILLE-ET-VILAINE  première audience, 12 novembre 1906. 

Le crime de la rue St-Malo La première audience. L'attitude de l'accuse. L'interrogatoire de Louvel. L'audition des témoins. Emouvante déposition du père de la victime. L'impression dans la salle.

Lorsque nous arrivons au Palais, les abords de la cour d'assises sont assiégés ar une foule compacte qui désire assister aux débats de cette dramatique et lugubre affaire.

Les diverses entrées qui conduisent à la salle d'audience, sont gardées par des soldats du 41e sous les ordres d'un lieutenant. En outre, en vue d'empêcher les incidents regrettables qui ont marqué l'audience de samedi dernier, des factionnaires disséminés dans la salle sont prêts à réprimer toute tentative de bruit et de désordre. Dans ces conditions, on comprend qu'il faut montrer patte blanche, pour pénétrer dans la salle qui était littéralement comble.

Le public se presse jusque derrière la Cour, et dans les tribunes grillées, on aperçoit des dames élégantes, qui désirent, sans être vues suivre ces douloureux débats.

Avant que la Cour ne pénètre dans la salle, les 12 jurés qui ont condamné Noblet, estimant que la peine qui lui a été infligée par la Cour dépasse celle qu'ils auraient voulu lui octroyer, ont signé tous un recours en grâce en sa faveur. L'accusé Louvel est introduit, il est d'un aspect peu sympathique. II a bien l'air sournois, qu'on lui attribue. Il dissimule sa figure sous un mouchoir et pleure abondamment.

Un incident des plus pénibles se produit, au. moment où les témoins pénètrent dans la salle:  le frère aîné de la victime, soldat au 70e à Vitré, en passant devant le banc des accusés, menace Louvel. On est obligé de l'emmener. Son père et lui font peine à voir, ils ne peuvent contenir leurs larmes. On se sent en présence d'une douleur profonde et sincère.

L'AUDIENCE

A midi et quart, la Cour pénètre dans la salle, et M. le Président prononce l'ouverture de l'audience,

Avant de procéder au tirage au sort du jury, conformément aux réquisitions de M. l'avocat général Martin, la Cour prend un arrêt, aux termes duquel, vu la longueur des débats, il sera adjoint au jury deux jurés supplémentaires.

Le tirage au sort terminé, M. le Président engage tous les membres du barreau présents, revêtir leurs robes. afin de leur permettre de pouvoir pénétrer dans la salle.

M. le greffier donne lecture de l'acte d'accusation qui mentionne les faits que nous avons rappelés hier. Pendant cette lecture Louvel et non Louvet continue à éponger ses yeux avec son mouchoir dont il se sert surtout pour dissimuler son visage. IL conserve cette attitude pendant toute la durée des débats. Il est procédé à l'appel des témoins qui sont au nombre de 31, 28 à charge, et 3 à décharge.

Il est alors procédé par M. le Président à l'interrogatoire de l'assassin. Comme on va le voir, cet interrogatoire n'est qu'un long monologue de l'honorable président, qui est oblige, d'arracher à l'accusé les réponses qu'il prononce d'une voix sourde. L'INTERROGATOIRE DE LOUVEL M. LE Président. Vous vous appelez Louvel, Julien-Alexandre-Marie. Vous êtes né le 15 décembre 1885, à Sens-de-Bretagne (Ille-el-Vilaine). Vous êtes célibataire et vous exerciez avant votre arrestation la profession d'ouvrier boulanger.

Vous n'avez jamais été condamné, et je dois tout de suite vous rendre cette justice que vous pussiez pour un ouvrier sobre et laborieux. Mais vous aviez la réputation d'être sournois, menteur, brutal,

Vous avez pendant un an environ été employé garçon boulanger chez M. Cochet, rue St-Malo. Peu de temps après votre entrée dans la maison, vous vous êtes épris de Mlle Cochet et vous lui avez méme fait part de votre désir de l'épouser. Mlle Cochet vous a alors répondu qu'elle ne voulait pas se marier avec vous que, du reste, elle n'avait pas de goût pour le mariage et qu'elle préférait rester à diriger la maison de son père.

Vous aviez fait part à une personne de votre intention de demander à M. Cochet la main de sa fille, et cette personne vous avait répondu

" Vous ne pouvez vraiment prétendre à la main de Mlle Cochet, votre situation n'est pas la même. Alors que vous n'avez rien, M. Cochet est dans l'aisance et alors même que sa jeune fille manifesterait l'intention de se marier avec vous, M. Cochet ny consentirait pas. "

M. Cochet, en effet, a une boulangerie qui lui rapporte de bons bénéfices et il est absolument vraisemblable qu'il n'aurait jamais consenti, actuellement du moins, que vous épousiez sa fille. Dès lors est né chez vous un sentiment d'animosité contre la famille Cochet. Vous avez continué cependant à faire plus ou moins ouvertement votre cour à Mlle Cochet. Vous avez même un jour imaginé ceci :

Vous aviez écrit à votre mère, à Sens de-Bretagne, que vous inviteriez M. Cochet et sa fille, ainsi qu'un de vos anciens patrons de Rennes, M. Mélisson et sa femme, à venir diner à Sens. Comme vous aviez peur que Mlle Cochet, qui ne vous témoignait aucune affection, ne voulût pas venir, vous avez imaginé la petite comédie suivante.

Vous avez dit à  M. Mélisson « Voici ce que je viens de faire M. et Mlle Cochet iront prendre le tramway, à la gare de Viarmes, vous vous trouverez à Maurepas et vous monterez à son passage. Lorsque le tramway arrivera à Sens, vous descendrez avec moi, et M. et Mlle Cochet ne pourront faire différemment que de venir à Sens avec nous. Mais la comédie n'eut pas de succès. M. Mélisson prévint M. Cochet de votre projet et Mlle Cochet ne vint pas. M. Cochet, M. Mélisson et vous, prîtes seuls place dans le tramway. A Sens, vous fîtes servir un copieux repas à vos invités.

Vous avez ressenti une vive haine contre la famille Cochet. Vous avez, en effet, été très vexé de l'espèce de dédain que Mlle Cochet avait eu pour votre invitation. Vous saviez que Mlle Cochet n'avait pas consenti à venir avec son père à Sens. C'est de ce moment que date la haine violente que vous aviez jurée à Mlle Cochet.

R. Louvel. Je n'avais pas de haine.

D. Mais vous avez été très froissé. R. Non ! Non !

D. Votre réputation au point de vue travail et sobriété était très bonne, mais parlons un peu de la moralité de Mlle Anna Cochet.

Mlle Anna Cochet avait pris la direction de la boulangerie à la suite d'un malheur de famille. C'était une jeune fille adorée de tous les clients. Elle était très aimée des personnes qui la connaissaient. Elle avait reçu une excellente éducation chez les Ursulines de Montfort. Ses anciennes maîtresses ont conservé d'elle le meilleur souvenir et avaient continué, après son  départ de Montfort, l'aimer et à l'estimer.

D'ailleurs un des plus grands plaisirs de Mlle Cochet, une des rares distractions que cette pauvre enfant prenait de temps en temps était d'aller tous les trimestres environ passer une journée chez les Ursulines de Montfort.

Mlle Cochet s'occupait chez son père des soins du ménage. Elle tenait aussi la comptabilité de la boulangerie.

Mlle Cochet avait pour son père les soins les plus attentifs et les plus constants ainsi que pour son jeune frère pour lequel elle était une mère. C'est bien exact ?

R. Oui.

D. Depuis longtemps vous aviez mûri votre projet de tuer Mlle Cochet. Vous avez pénétré dans la maison de M. Cochet alors qu'il était au travail. M. Cochet se levait toutes les nuits vers minuit pour se rendre au fournil. Vous connaissiez ses habitudes

R. Oui.

D. Vous êtes entré dans la maison de M. Cochet par le couloir d'une maison voisine. Vous avez tiré vos souliers dans le farinier pour ne pas faire de bruit en passant dans la chambre de M. Cochet. C'est, en effet, cette chambre que vous deviez franchir pour pénétrer dans la chambre de Mlle Cochet. Dans la première chambre était couché le jeune Cochet, un enfant Agé de 11 ans. Cet enfant dormait profondément comme il est d'habitude à cet âge et il n'a rien entendu. Dans l'escalier, vous avez allumé une petite bougie que vous aviez placée dans un petit vase. Vous êtes donc entré dans la chambre de Mlle Cochet. Elle dormait profondément ? 

R. oui.

D. Mlle Cochet reposait d'un profond sommeil. Elle avait d'ailleurs déclaré un jour: " Je suis très heureuse, aussitôt que Je me couche, je m'endors ".

Vous vous êtes approché du lit, votre bougie d'une main, votre revolver de l'autre. Ce revolver vous l'aviez acheté quelques jours avant votre retour de Vitré, qui avait eu lieu le 16 juin. Vous vous êtes ensuite accoudé sur te lit, vous avez approché le revolver de la tempe gauche et, coup sur coup, vous avez fait deux fois usage de votre arme. C'est bien cela ?

Louvel répondu par un redoublement de sanglots.

D. Revenons sur vos antécédents et sur les circonstances qui ont conçu en vous cette idée fixe d'arriver à tuer Mlle Cochet. Vous n'êtes pas inintelligent, vous seriez plutôt intelligent. Lorsque vous avez obtenu votre certificat d'études, vous êtes entré comme pâtre dans une ferme de Sens-de-Bretagne. J'ai déjà parlé de votre brutalité, elle vous a dû d être renvoyé de la ferme où vous étiez placé, car vos maîtres s'étaient aperçus que vous vous plaisiez à brutaliser les animaux confiés à votre garde.

D'autre part les témoignages recueillis sur votre compte vous représentent comme orgueilleux, vaniteux, jaloux, sournois, menteur et brutal. Vous êtes venu à Rennes en 1898 et vous y avez exercé l'état d'ouvrier boulanger. Vous êtes allé en 1899 à Paris où vous avez été employé dans un magasin pendant un an et vous en êtes revenu très fatigué. Vous vous êtes alors fixé à Rennes comme ouvrier boulanger.

On vous a monté la tête avec les bruits qui circulaient sur votre compte ? R. On me disait qu'on m'aurait empêché de trouver du travail à Rennes. On disait aussi que j'étais un coureur de femmes.

D. II est vrai que vous avez tenu à un moment donné des propos calomnieux sur Mlle Cochet et sur Mme Mélisson. Ces bruits sont parvenus aux oreilles de M. Cochet et Melisson qui se sont émus de ces propos. Ils sont allés vous trouver et vous ont fait signer deux lettres de rétractation. En même temps, comme punition, ils vous ont enjoint de verser une somme de 20 francs. au bureau de bienfaisance. Il est à remarquer que vous avez conservé précieusement les deux quittances des lettres de rétractation, de façon à ne pas les perdre et ne pas être ainsi dans l'obligation d'avouer vos calomnies.

Au cours de l'instruction, vous avez affirmé que Mlle Cochet, qui était une jeune fille très sérieuse, vous avait embrassé la première. Or, la vérité est que ce jour là Mlle Cochet était très triste. Son père était malade et elle en éprouvait un gros chagrin. Vous êtes arrivé par derrière et vous l'avez embrassée. Elle y a si peu consenti qu'elle est montée aussitôt auprès de son père et s'est plainte de votre geste déplacé. D'ailleurs, personne n'a pu entendre une parole pouvant permettre de supposer qu'elle eût éprouvé pour vous un sentiment d'amitié.

D'autre part, elle a fait un jour à Mlle Marie Cochet, sa cousine, cette déclaration : " Je n'ai pas précisément d'antipathie pour Louvel, mais c'est un homme faux, et comme tel je le méprise."

Mlle Corhet, après un langage aussi net, ne pondait avoir pour vous celte affection que vous prétendez exister.

Le 25 juillet 1905, à l'occasion de sa fête, vous avez voulu offrir à Mlle Cochet une bague que vous aviez achetée 15 francs. Mlle Cochet a refusé de l'accepter. Vous la lui avez alors glissée dans une poche, mais elle s'en aperçut et se plaignit à sort père de cette nouvelle tentative de galanterie. La bague vous fut rendue et quelques jours après vous l'échangiez chez un bijoutier centre une parure de boutons?. Vous avez prétendu que ces boutons de manchettes vous avaient été offerts par Mlle Cochet. C'était un nouveau mensonge.

Une autre fois, vous avez fait une promenade à Saint-Malo et vous avez rapporté une botte de coquillages pour Mlle Cochet. M. Cochet ne s'est pas opposé à cette offre, car il jugeait qn'elle n'avait rien de compromettant pour l'honneur de sa fille.

Non. Mlle Cochet ne vous aimait pas et la preuve est dans un lettre qu'elle écrivit au mois de juin à son frère soldat à Vitré: " Louvel est chez Mme Marin à Vitré.Si tu le rencontres et qu'il ait l'audace de te parler, surtout ne lui réponds pas, c'est un homme méprisable."

D. Et vous plétendez gue cette jeune fille vous aimait?

R. A quelle date a été écrite la lettre

D. Au commencement de juin 1906, vous avez quitté la maison Cochet à la date du 26 avril. M. Cochet ayant fait l'acquisition d'un pétrin mécanique vous déclarat qu'il avait moins besoin de main-d'oeuvre mais qu'il consentait à vous conserver en opérant toutefois une réduction sur vos salaires Vous n'avez pas accepté, et M. Cochet s'est vu dans l'obligation de vous donner vos cinq jours.

Votre caractère a alors changé, et le surlendemain, dans la nuit, sans aucun motif, vous avez cherché querelle à un autre ouvrier de M. Cochet, un nommé Rossignol, en le menaçant de le tuer. Rossignol, effrayé, a confié ses craintes à votre patron et M. Cochet a alors décidé de votre départ sur-le-champ pour éviter tout incident fâcheux entre vous et Rossignol.

M. le président retrace ensuite le voyage de Louvel à Vitré, son retour à Rennes, et arrive à l'achat du revolver.

Vous avez acheté un revolver d'occasion à Rennes et vous l'avez essayé une nuit dans les water-closets situés en face le Bazar Parisien ?

Vous avez dit que vous aviez tué votre victime par amour et aussi parce qu'elle vous avait blâmé. Qu'entendez-vous par la mot "blâmer". 

R. ?.

D. Vous n'avez pas revu Mlle Cochet jusqu'à la nuit où vous l'avez lâchement tuée dans son sommeil.

R. Non

D. Vous avez au cours de l'instruction déclaré que c'étaient les romans qui vous avaient, perdu. C'est faux, car il été prouvé que vous ne lisiez pas de romans.Vous lisiez quelquefois le journal que prend chaque jour M. Cochet.

M. le président termine l'interrogatoire de Louvel en retraçant les péripét:ies de sa fuite après le crime et de son arrestation par les agents.

Louvel déclare à ce propos qu'il n'a pas adressé de menace de mort il. l'ouvrier Rossignol lorsque celui-ci manifesta l'intention de s'opposer à sa fuite.

M. le président, l'interrogatoire terminé fait la déclaration suivante

J'ai terminé votre interrogatoire. Vous devez être épouvanté en face de l'œuvre criminelle et abominable que vous avez accomplie.

C'est le bonheur perdu à jamais dans une famille. un père abîmé dans une douleur profonde jusqu'à la fin de ses jours, un jeune frère privé de l'affection et des soins d'une sœur qui remplaçait sa mère, une jeune fille aimée de tous, adorée des siens, lâchement tuée pendant son sommeil.. «

Et à cette pauvre enfant, qui, en sa qualité de Bretonne et de catholique, eût désiré une mort chrétienne, vous n'avez pas voulu accorder une minute pour lui permettre de recommander son âme à Dieu. Voilà le crime dont vous avez à rêpondre.

L'audience est suspendue. Après un quart d'heure de suspension elle est reprise pour l'audition des témoins.

LES TEMOINS

M. Déblais, Joseph, commissaire de police à Rennes, 63 ans, est le premier témoin entendu. C'est lui qui a procédé aux premières constatations judiciaire. Le crime a été commis à quelques pas de son commissariat. Prévenu de suite, il est accouru, il a vu le père abîmé dans sa douleur, près du cadavre de sa fille. Il a fait aviser la Sûreté, car le père a désigné de suite son ancien ouvrier Louvel comme l'assassin. Il donne les renseignements lea plus flatteurs sur Mlle Cochet qu'il connaissait personnellement.

Il n'a plus eu à s'occuper de l'affaire, le Parquet ayant été immédiatement saisi. On distribue aux jurés des photographies représentant la victime sur son lit de mort et qui démontrent que Mlle Cochet a été surprise dans son sommeil.

M. Hervéou, docteur-médecin, 54 ans médecin de la famille Cochet, est accourut appelé par la famille. Lorsqu'il est arriva le père et le commissaire de police étaient auprès de la morte. Il a examiné Mlle Cochet et décrit l'état dans lequel il a trouva le cadavre. Ce qui a frappé surtout l'honorable médecin c'est le calme que présentait! le visage de Mlle Cochet qui semblait, dit-il, dormir.

Il fait en terminant le plus grand éloge des qualités de coeur et d'esprit de Mlle Cochet, qui dirigeait la maison de son père. Elle était aux petits soins, pour tous les siens et en particulier pour son père, pendant une longue et douloureuse maladie qu'il avait eue l'année précédente.

Sur une question du président, le docteur Hervéou déclare qu'il est impossible que Mlle Cochet se soit réveillée lorsque l'assassin a pénétré dans sa chambre. M. l'avocat général, au témoin.- L'accusé prétend que lorsqne Mlle Cochet l'a vu, elle a pleuré. Y avait-il trace de larmes ?

R. Non. La mort a été foudroyante. M. le docteur Perrin de la Touche, médecin-légiste, 47 ans ans, sur réquisition du Parquet, a procédé il l'autopsie du cadavre. M. le médecin-légiste entre dans de longs détails scientifiques. Il conclut que la mort est due à un seul projectile

Il a aussi examiné Louvel et a constaté qu'il portait sur sa figure un tatouage fait par des grains de poudre provenant des bourres de cartouche. Le coup a dût donc être tiré de très près.

On procède à l'ouverture des diverses pièces à conviction, revolver, chapelet, vase dans lequel était la bougie, les vêtements que la victime portait.

M. Chave, armurier, 58 ans, a été désigné par le Parquet pour examiné le révolver dont s'est servi Louvel. D'après lui l'arme est des plus communes. Pour le témoin, les coups ont du être tirés A bout portant. En tout cas, Louvel ne doit pas avoir tiré à plus de 3 ou 4 centimètres, et a dù se pencher lorsqu'il a tiré sur sa victime, c'est ce qui explique les crachements de poudre qu'il avait sur la figure, crahements qui sont dus à la mauvaise qualité de l'arme.

M. Chave déclare que cinq coup de révolver ont été tirés. Deux dans la chambre de la victime et trois dans celle de Louvel Il restait une balle qu'il a retirée.

Sur une question de M. l'avocat général, le témoin délare qu'il était présent lorsqu'on a procédé en présence des magistrats à la reconstitution de la scène du crime, le cadavre reposait encore dans son lit. Louvel a montré comment il avait tuè sa victime en appuyant son genou sur le lit. Pendant tonte cette scène, il était nullement ému.

 

Maître Marcillé défenseur, au témoin.

Vous étiez présent lorsqu’on l’on a fait entrer Louvel dans la chambre dans la chambre du crime ?

R. Oui.

D. Quelle altitude a-t-il eue ? 

R. Il a porté ses mains sur sa figure pour ne pas voir la morte. On lui a dit «  pas d'hypocrisie ». Il a regardé alors en Face.

Le témoin suivant est le malheureux père M Cochet, patron boulanger, 52 ans. Il pleure abondamment et sa douleur impressionne tous les assistants. Aussi beaucoup de dames sont-elles très émues. Pendant cette déposition l’accusé cache entièrement son visage pour ne pas voir le malheureux père.

M.Cochet père.

Dans la nuit du 19 juillet, je me levai vers minuit pour aider mon ouvrier à la fabrication du pain. A un certain moment, j'entendis un cri qui me sembla partir de la chambre de ma fille. Mon ouvrier Rossignol me dit « Je crois bien que ça vient de la rue », Mais ma conviction était autre et du bas de l'escalier, je criai à ma pauvre petite fille » Est-ce toi, Anna, qui m'a appelé ? Je ne reçus pas de réponse, mais au même moment, j entendis le bruit d'une chaise circulant sur le plancher. 

Ayant allumé une petite lampe, je montai l'escalier. Arrivé en haut j’entendis un bruit comme si on avait lancé une « canette » sur la cloison. J'entrai dans la chambre et… (M. Cochet éclate en sanglots) je vis Louvel, le misérable, au pied du lit de ma fille. Il avait un revolver à la main. D’un bond, je sautai sur lui et je l’entraînai dans l'escalier. 

D'une main, le tenais par l'épaule de l'autre, je tenais le revolver par le canon. En se débattant Louvel provoqua notre chute et nous roulâmes dans l’escalier. mais je ne l'avais pas Iâché et  bas de l'escalier nous nous retrouvions Ensemble, moi tenant toujours le revolver par le canon.

 A ce moment, Rossignol, attiré par le bruit, se précipita vers moi pour m'aider à maintenir Louvel, mais celui-ci lui déclara que s'il le touchait, il lui ferait son affaire.

Je traversai la boulangerie tenant toujours Louvel et je l'entraînai au dehors. A ce moment, je le lâchai pressé de revoir ma Pauvre fille et je montai dans la chambre. Ma pauvre fille était morte (M. Cochet sanglote).

 D. Que vous a dit Louvel au moment Où vous l'avez saisi ?

 R. Je ne me rappelle plus. J’étais tellement ému.

 D. Le cri que vous avez entendu, était t’il un cri d’effroi ?

 R.- Non c’était plutôt un cri plaintif . Elle a du le faire entendre lorsqu’elle a reçu le premier coup de révolver .

 M. Cochet  rappel que sa fille avait l’habitude de l’appeler assez souvent dans la nuit, lorsqu'elle était réveillée et qu'elle avait peur.

 D. Louvel, en arrivant, vous avait-il aperçu ?

 R. En se rendant dans la chambre de ma fille, il a certainement dû me voir Au travail dans la boulangerie.

 D. Louvel a laissé ouverte la porte située dans la palissade qui sépare la maison de M. Leduc de la votre ?

 R. Oui ! Cette porte était fermée ce soir-là, comme d'habitude. Elle est fermée à l'aide d'un bois, il faut être en dedans pour l’ouvrir.

 M. L’avocat général - C'est par là qu'il s'est sauvé. Je tiens à faire remarquer à ̃M. les Jurés que Louvel avait prévu qu'il il aurait à se sauver. Il ne venait donc pas là pour se suicider.

M. Cochet – Il était trop fainéant.

M. le Président. – M. Louvel ne vous a jamais témoigné le désir d'épouser votre fille ?

R.. Il ne m'en a jamais parlé.

D. Et l'incident de la bague ?

R. C'était au mois de juillet 1905, j’étais malade. Le médecin était venu et 'il ne m'avait pas trouvé très bien. Ma petite Anna, voyant que mon état de santé était précaire, pleurait.

Louvel arriva sur elle à l’improviste et l'embrassa. Ma fille vint me faire part de cela aussitôt et je lui répondis que aussitôt en état de descendre à la boulangerie, je règlerais  le compte à Louvel.

C’était quelques jours avant la fête de ma fille. La veille de la Sainte Anne, Louvel, profitant d'une occasion où na fille était dans la cuisine, vint lui souhaiter sa fête et lui offrit une bague enfermée dans un écrin. Ma fille n'ayant pas accepté cette bague, Louvel la glissa furtivement dans une de ses poches. Ma fille s'en aperçut presque aussitôt et me remit la bague.

Quelques jours après, je fis venir Louvel, je lui fis la leçon et après lui avoir remis la bague, je lui déclarai que le mieux pour lui était de s'en aller. Louvel me promit alors de mieux se conduire à l’égard d'Anna. Comme il n'y avait par d'ouvriers boulangers, à Rennes, disponibles  en ce moment, je patientai un peu. ̃Louvel ne conduisant assez bien, l'affaire en resta là.

 J'ai appris ensuite que Louvel s'était rendu chez le bijoutier où il avait acheté la bague et qu'il l'avait échangée contre une parure de boutons de manchettes.

D. Avez-vous su qu'il se vantait d' avoir reçu cette parure de la part de votre fille

R. Oui, mais c'était faux.

M. Cochet s'explique sur le départ de M. Louvel à la suite de l'acquisition du pétrin  mécanique, il déclare que c'était une raison très secondaire. La principe était qu'il voulait mettre fin à toutes les galanteries dont était l'objet sa fille. C'était un  prétexte plutôt qu'autre chose.

D. Vous l’avez renvoyé après l'incident qui se produisit entre lui et Rossignol ?

R. Il était très furieux de son départ, et quand il apprit que celui qui le remplacerait était Rossignol, depuis quelques jours à mon service, il le menaça, voulut le battre. C'est alors que je lui payai ses cinq jours.

Louvel, orgueilleux  comme il était, se trouva très froissé. C'était de plus, un menteur. Bien des fois, nous l'avons pris en flagrant détit de mensonge.

M. le président  à Louvel -  Tout ce qu'a dit M. Cochet est-il vrai ?

R. Oui

M. le Président, à M. Cochet, - Louvel, après son départ, a déclaré que votre fille ne s'était pas refusée se marier avec lui, mais que vous n'aviez pas voulu y consentir ?

M. Cochet. Il n'en a jamais été question.

M. le Président. -  Il a aussi prétendu que votre fille, comme preuve de son amitié, allait lui porter le matin son café au lit.

M. Cochet. C'est indigne, voila la vérité. Un jour que Louvel était indisposé je demandai à ma fille d'aller lui porter un bol de lait dans son lit. Elle y fut, mais par obéissance, et cette canaille ose prétendre que ma fille allait lui porter du café au lit pour le plaisir de le voir. (M. Cochet éclate en sanglots.)

M. LE Président. Votre fille n'a donc jamais manifesté de la sympathie pour Louvel.

M. Cochet. Bien loin de là.

Ma fille savait que Louvel était un homme méchant. Il avait dit bien des choses des femmes et des jeunes filles où il avait été boulanger. Et eue disait en pleurant, à la porteuse de pain, le jour où Louvel est venu chercher ses malles : «  Nous sommes quittes de lui, mais qu'est-ce qu'il va dire de moi ? » Ma fille s’attendait bien à ce que Louvel s'emploie à la diffamer.

Autres témoignages!

M. Cochet Alexandre, onze ans, est le jeune frère de la victime. Après le départ de Louvel de la maison de son père. il est venu le soir chercher des objets qu'il avait laissés.

Un autre soir, pendant qu il était seul avec sa soeur, Louvel est venu frapper au carreau du magasin.

M. Cochet Emmanuel, 22 ans, soldat au 70 ème à Vitré, est un beau garçon à la physionomie sympathique et franche. Il ne sait rien des incidents du crime. Il confirme la lettre citée plus haut

Pendant plusieurs permissions, il a travaillé avec Louvel chez son père, Il le tenait pour un sournois, un orgueilleux et un brutal.

Après ces trois dépositions, Me Marcillé se lève et fait la déclaration suivante. « Je prie MM. les jurés de ne pas considérer que l'accusé est nécessairement amené à acquiescer à tous les renseignements donnés sur son compte. Je ne puis rien dire je comprends toutes ces douleurs, mais je ne les crois pas nécessairement établies parce que 1’accusé s'incline devant les personnes qui touchent de très près à ce sombre et douloureux drame. »

M. Leduc Jean, 50 ans, débitant, est un voisin de la famille Cochet. La nuit du crime ayant entendu du bruit dans la boulangerie Cochet, il se leva, s’habilla et trouva M. Cochet sur le pas de sa porte qui lui dit tout en larmes : «  Mon ancien garçon vient d' assassiner ma fille». Il pénétra dans la chambre, Mlle Cochet semblait dormir.

Sur une question du président, le témoin soutient que Louvel, dès qu'il fut renvoyé  de chez M. Cochet, a prémédité son crime.

Il donne d'excellents renseignements sur Mlle Cochet qui était travailleuse, enfin un vrai modèle de jeune fille. Elle ne songeait nullement an mariage.

M. Le Monnier, pharmacien, 41 ans, entendu ensuite, est également un voisin. il a été réveillé dans la nuit du crime par des bruits venant de la maison Cochet, le père l’a appelé en lui disant : « Louvel vient de tuer ma fille.» 

Le témoin habite le quartier depuis 17 ans et dit que Mlle Cochet était très aimée de tout le monde.

M. Eudier, étudiant en médecine, 22 ans est accouru aussi la nuit du crime, car il est voisin de la famille Cochet. II confirme la déposition du précédent témoin.

Mme veuve Renaud, née Briand, 62 ans, propriétaire à Sens de Bretagne. Au mois de janvier, le témoin a dit à l'accusé : « Est-ce que vous faites la cour à votre patronne ? ».Il a répondu «  Oui » il a ajouté qu'elle lavait embrassé plusieurs fois et qu'elle lui avait donné des boutons de manchettes comme parure.

L'accusé nie. Le témoin persiste en déclarant qu'il a tenu ces propos devant sa propre mère qui est à son service.

M. Cochet, du banc des témoins, s'écrie, «  tu as menti, canaille ! ».

M. le Président. Calmez-vous, M. Cochet.

M. Cosnier Joseph, patron boulanger, 32 ans, a engagé Louvel comme ouvrier à son retour de Vitré. Il n’a pas remarque que accusé fut triste. Il sifflait fréquemment Le soir du crime dès que le témoin fut allé se coucher, vers 11 heures, Louvel quitta la boulangerie en brisant le pêne d'une porte.

Vers deux heures du matin, il fut réveillé par les agents de la sûreté qui l'avisèrent que son employé venait de commettre un assassinat. Il les accompagna dans la chambre de Louvel, qui était couché.

Le témoin explique très clairement les conditions dans lesquelles il a été procédé à l'arrestation de Louvel. Lorsqu'on l'arrêta, Louvel déclara aux agents qu'il n'avait pas voulu les tuer, mais qu'il avait voulu se détruire.

M. Rossignol Pierre, ouvrier boulanger, 31 ans. a travaillé avec Louvel chez M. Cochet. Le témoin, qui est affligé d'un fort bégaiement, répond par oui et par non aux questions que lui pose M. le président. Sa déposition ne fait que confirmer celle du père de la victime. Il déclare que, menacé par Louvel de son revolver, Il a lâché ce dernier qui a pris la fuite. M. Cochet, qui était monté dans la chambre de sa fille, cet redescendu en criant : « il a tué ma pauvre fille ».

En terminant, M. Rossignol déclare que dès que Louvel fut congédié, Il fut menacé par lui.  M. Cochet se décida alors à ne pas attendre le délai de cinq jours qu'il avait donné à Louvel, il le fit partir de suite.

M. Bretel François, garçon boulanger, 38 ans, connaît Louvel depuis sept ou huit ans, il ne croyait pas que jamais il eut dû finir sur les bancs des assises. Il était sobre et travailleur.

La nuit du crime, vers 11 heures, Louvel est venu à la boulangerie où il travaillait. Il lui a dit qu'il ne travaillait pas la nuit. Il est resté environ un quart d'heure, puis il est parti disant qu'il allait voir sa connaissance.

M. le Président. - L'accusé était-il calme ?

R. OUI.

D. Il n'était pas ivre ?

R. Non.

Quelque temps avant le crime, Louvel m'a dit avoir acheté un revolver, mais il ne m'a pas expliqué pourquoi.

D. Il ne vous a jamais dit qu'il voulait se suicider ?

R. Non.

Quelque temps auparavant, Louvel m'a dit qu'on avait voulu le faire chanter dans la famille Cochet et qu'il ne pourrait plus trouver de travail à Rennes. Il en voulait surtout à la bonne de la famille Cochet qu'il accusait d'être l'auteur de ces bruits.

Suspension d'audience

L'audience est suspendue à 4 h. ¼, elle est reprise à 4 h. 38.

 

M. Lanoë Jacques, inspecteur de la sûreté, 49 ans, a procédé à l’arrestation de l'assassin. Lorsqu'il est entré dans la chambre de Louvel, celui-ci dit : «  Attendez ». Il a vu Louvel diriger son arme vers sa figure. Plusieurs coups de revolver ont été tirés, trois, croit-il. L'assassin n'a fait aucune résistance lorsqu'on l'a arrêté. Sur une question de M. l'avocat général, le témoin déclare que s'il avait voulu se suicider, il aurait pu le faire.

Me Marcillé  au témoin. Vous étiez présent lorsqu'on a amené Louvel après son arrestation dans la chambre de Mlle Cochet. Quelle a été son attitude ?

R. Je ne me rappelle pas.

Me Marcillé. - Ne lui a-t-on pas dit « Pas d'hypocrisie ».

R. C'est possible.

M. L'avocat général au défenseur.   SI vous voulez, nous ferons déposer M. le procureur et M. le Juge d'instruction. Me Marcille. Comme vous voudrez.

M. Jacques Edouard, brigadier de la sûreté, 43 ans, accompagnait M. Lanoë lors de l'arrestation de l'assassin. Il confirme la déposition du précédent témoin.

M. Jouan Marius, armurier, 54 ans, a vendu à Louvel le revolver qui a servi à commettre l'assassinat. C'était un revolver d'occasion, il a été payé 5 francs.

Mme Marie Brethieux, femme Marin, 42 ans, boulangère à Vitré, a eu l'accusé à son service pendant un mois. Jamais il ne lui a parlé de son amour pour Mlle Cochet, il faisait d'ailleurs son affaire.

M. l’Avocat Général. - Vous a-t-il paru menteur ?

R.. Oui.

Mlle Marie Marin, 16 ans, fille de la précédente, en faisant la chambre de Louvel a vu les papiers de Louvel, avait dit sa mère être des prêts d'argent faits par lui à d'anciens patrons. Elle a constaté que c'était deux reçus de 10 francs.

M. Lefeuvre, Jean, garçon boulanger, 20 ans, confirme la déposition du témoin Bretel, sur la visite que Louvel leur fit la nuit du crime.

Mlle Marie Cochet, épicière, 23 ans, cousine de Mlle Anna Cochet, est très émue en déposant, et on l'entend à peine. Jamais, dit-elle, ma cousine n'a voulu épouser Louvel, qu'elle détestait, le sachant faux et menteur. Il l'a embrassée une fois par surprise. Ma cousine m'a dit plusieurs fois « J'ai peur que, lorsqu'il quittera la maison il n'attaque ma réputation »  . C'est à cause de cela qu'elle pleurait.

Mme Le Métayer, née Euphrasie Turpin, 26 ans, porteuse de pain au service de M. Cochet, a su que Louvel s'était vanté d'avoir reçu une parure de boutons de Mlle Anna Cochet, ce qui était faux.

Le jour où Louvel est venu chercher sa malle, comme Mlle Cochet pleurait, elle lui a demandé pourquoi. « C'est, a-t-elle dit, parce qu'il va perdre ma réputation, comme il la fait pour d'autres ». Je lui dis « n'y prenez pas garde, on sait que vous êtes une bonne fille ».

Me Marcillé. Je suis très surpris que jamais le témoin n'ait à l'instruction a  parlé de ces faits.

M. Melisson (Jean), boulanger, 36 ans, déclare que de 1903 à 1904 il a eu Louvel son service, il en était satisfait; mais auprès son départ il a su qu'il avait mal parlé de sa femme. Depuis qu'il était chez M. Cochet, il avait beaucoup changé. Il était devenu arrogant et vantard.

Il croit que Louvel a agi par vengeance, lorsqu'il s’est vu éconduit par la famille Cochet et termine en faisant l'éloge de la victime, qu'il a connue toute jeune. Avant de s'établir pour son compte, il a été en effet ouvrier chez M. Cochet.

Sur question de M. l'avocat général, le témoin confirme qu'après le départ de Louvel de chez M. Cochet, ayant appris les bruits qu'il faisait courir sur sa femme, il a forcé Louvel, en réparation, il versa 10 francs au bureau de bienfaisance.

M. Duval, 27 ans, garçon boulanger, a vu Louvel à son retour de Vitré, qui l'a invité à son enterrement. Il le représente comme jaloux, mais d'un caractère gai.

M. Huguet, boulanger, 52 ans, connaissant raccusé depuis longtemps, donne sur lui les mêmes renseignements que les précédents témoins. C'est lui qui a fait signer les deux lettres dans lesquelles l'accusé rétractait les propos diffamatoires tenus à l'égard de Mme Melisson et de Mlle Cochet. Il a reçu les 10 francs qui devaient être versés au bureau de bienfaisance.

Le dernier témoin entendu à l'audience est M. - Sorel, 26 ans, boulanger. L'accusé s'est vanté auprès de lui d'être dans les bonnes grâces de sa victime. Il confirme les renseignements déjà donnés sur le caractère de Louvel.

L'audience est levée à 6h. 10 et renvoyée à demain midi, pour l'audition des derniers témoins.

 

AUX ASSISES D'ILLE-ET-VILAINE

AUDIENCE DU 13 NOVEMBRE

Le crime de la rue Saint-Malo Le deuxième jour des débats.

Avant l'audience. Un réquisitoire énergique.

Il n'y a pas là crime passionnel, mais crime de la cupidité.

Une âme faite de boue et d'orgueil.

La plaidoirie et le verdict. Les travaux forcés à perpétuité.

L'assistance est aussi nombreuse qu'hier. Il semble toutefois que les mesures d'ordre aient été mieux prises, car le public est moins houleux et semble comprendre par son attitude, la gravité du drame qui va se dérouler aujourd'hui dans l'enceinte de la Cour d'Assises.

C'est le châtiment suprême, en effet, qu'au nom de la société va réclamer M. l'avocat général Martin contre le lâche assassin de Mlle Cochet. Peu importe, en effet, qu'une loi qui va prochainement venir devant le Parlement raye la peine de mort de nos codes.

Le châtiment que durant toute une vie, probablement longue, cet assassin de 21 ans aura à subir, sera pour lui peut-être plus douloureux que d'être un matin d'hiver réveillé au petit jour, conduit sur une de nos places publiques et jeté sur la bascule de la guillotine.

Il va falloir au distingué défenseur de Louvel tout son talent pour essayer de faire pénétrer un peu de pitié dans le coeur de ses juges. Tache ingrate et pénible, car enfin, cet amoureux éconduit, devenu assassin, est vraiment peu intéressant. Quoiqu'il en soit, on peut être assuré que des deux côtés de la barre, accusateur et défenseur seront à la hauteur du mandat qui leur a été confié

A midi un quart. Louvet prend place sur le banc des accusés. Il a la mêmes attitude qu'hier et, dissimulant sa figure derrière son mouchoir, parait pleurer abondamment. Il conservera cette attitude durant tonte l'audience.

Quelques instants après, la Cour pénètre la salle. M. le président déclare l'audience ouverte. Il est procédé tout d'abord l'audition des derniers témoin».

Les derniers témoins

M. Beaudoin Albert, 29 ans, ouvrier boulanger, connaissait Louvel qui lui a fait l'aveu de l'amour que Mlle Cochet avait pour lui. Elle serait venue, d'après lui, le voir lorsqu'il était couché.

Il aurait ajouté que quelquefois elle avait l'air égarée. C'est au- témoin que Louvel a emprunté 15 francs pour acheter une bague destinée à Mlle Cochet. Quelque temps après, l'accusé lui montra une paire de boutons et il lui dit que c'était la fille de son patron qui la lui avait donnée. Il a cru que c’étaient des amours de jeunesse. Depuis, il apprit que M. Cochet, à la suite des bruits calomnieux que Louvel faisait courir sur sa fi!le, avait exigé et obtenu une rétractation et le versement d'une somme pour le bureau de bienfaisance. Il fut très surpris quand il apprit le crime et confirme les renseignements donnés sur l'accusé.

Mme Marie Beaudoin, veuve Blandin, 45 ans, blanchisseuse, est la sœur du précédent témoin. L'accusé lui a fait part de son amour pour Mlle Cochet et, à l'entendre, il devait 1’épouser prochainement. Elle en fut surprise. Il lui montra aussi les boutons de manchette en disant que c'était un cadeau de Mlle Cochet qui, d'après lui, l'aimait beaucoup. Toutes les fois que l'accusé lui a parlé de la jeune fille, il semblait l'aimer beaucoup et jamais il n'en a parlé en mal. Mme Amélie THOMAS, femme Baudouin, 29 ans, couturière, est la femme du premier témoin entendu, son mari tient un bureau de placement pour ouvriers boulangers.

Un jour qu'elle était allée chez M. Cochet., sa fille lui a dit que son père avait fait verser une somme de 20 francs à cause des mauvais propos qu'il avait tenus à son retour de Vitré. Elle demanda à Louvel si c'était exact. Il répondit que oui. M. Prudent Renouard, 29 ans, ouvrier boulanger, a vu plusieurs fois l'accusé pleurer lorsqu'il lui parlait de Mlle Cochet qu'il disait aimer beaucoup.

Le témoin accompagna Louvel chez le bijoutier quand au mois d'avril dernier il j acheta un chapelet, qu'il destinait à Mlle Cochet. Il lui fit l'observation qu'il ferait mieux de lui acheter une bague. Louvel lui répondit qu'il lui en avait offert déjà une, et qu'en retour elle lui avait donné une paire de boutons.

Quelques jours après l'accusé lui dit qu'il avait donné le chapelet, et qu'elle avait été très contente. Louvel en me racontant cela pleurait. Questionné sur son départ de chez M. Cochet, il répondit que c'était à cause d'une diminution de salaires.

Un soir continue le témoin, en passant dans la rue Saint-Malo avec Louvel devant le magasin de M. Cochet, celui-ci frappa aux vitres. Mlle Cochet était dans la boutique avec son jeune frère, il lui envoya plusieurs baisers. La jeune fille détourna la tête.

Louvel qui paraissait très excité a voulu repasser devant le magasin, je l'en ai empêché. Il m'a dit alors que c'était la première fois qu'elle lui faisait cela. » M. Thébault, 22 ans, ouvrier boulanger, a travaillé avec lui chez M. Cochet. Il était très sombre et a remarqué qu'il faisait des avances à Mlle Cochet tandis que la jeune fille le fuyait.

A son retour de Vitré, il rencontra Louvel qui lui dit avoir acheté un revolver pour tuer la personne qui avait tenu des mauvais propos sur lui et sur Mlle Cochet. Il ajouta qu'il se tuerait ensuite. L audition des témoins est épuisée en vertu du pouvoir discrétionnaire de M. le président, M. l'avocat général donne lecture de la déposition suivante d'un commissionnaire, nommé Nicol :

Lorsque Louvel quitta la maison Cochet, je fus chargé d’enlever sa malle, je remarquai dans la boulangerie une jeune fille qui pleurait. Louvel me dit au moment où enlevai la malle : «  Je l'embrassera bien d'une manière ou de l'autre ».

Dans une seconde déposition devant le juge d'instruction, M. Nicol répétait la première faite devant le commissaire de police, en ajoutant toutefois ce détail que Louvel, en voyant pleurer la jeune fille fit cette déclaration à M. Nicol « Ce n'est pas la peine de pleurer, il faut s'en aller ».

LE REQUISITOIRE

M. le président donne la parole à l'organe du ministère public. M. l'avocat général Martin, dans un réquisitoire de belle allure littéraire, et où les arguments judiciaires puissamment enchaînés forment un faisceau redoutable et concourent tous a montrer que l'on se trouve en présence d'un lâche assassinat, froidement prémédité, et non d'un crime passionnel.

Ce réquisitoire écouté avec un respect quasi-religieux produit une impression profonde sur tout l'auditoire. Les parents de l'infortunée Anne Cochet sanglotent pendant que M. Martin retrace tous les détails de la nuit du crime.

M. l'avocat général débute ainsi :

« Vous avez été douloureusement émus et il n'est personne dans cet auditoire qui n'ait senti frémir les fibres les plus secrètes de son cœur en voyant hier s'acheminer vers la barre, pour y faire sa déposition le père ici présent de l'infortunée jeune fille dont la mort tragique nous réunit à cette heure dans cette enceinte, et d'une voix entrecoupée par de nombreux sanglots vous faire le récit de son inconsolable douleur,

«  Il a découvert devant vous les blessures de son âme, il a mis à nu une plaie que rien au monde ne pourra cicatriser. Ah  le pauvre homme est vraiment bien malheureux ! Une flamme brillait à sa maison, personnifiée par une jeune fille exquise, aimée de tous et universellement estimée. Et voici que cette flamme a été brutalement éteinte. Depuis, il n'y a plus au foyer de M. Cochet, ni vie ni lumière ni chaleur. Ah, c'est que Mlle Anna Cochet, messieurs les jurés, vous le savez maintenant, était une nature exceptionnelle dans laquelle se trouvaient réunies avec tous les charmes de la jeunesse, les qualités les plus précieuses du cœur ».

M. Martin poursuit ensuite en faisant un récit très complet et très détaillé du crime commis par Louvel et démontre qu'il a été froidement prémédité. Il fait un tableau très évocateur de l'émotion dont Rennes a été le théâtre le jour des funérailles de l'infortunée jeune fille.

«  Louvel a tué, prétend-il, parce qu'on n'a pas voulu écouter son amour Mais jamais il n'a aimé sa victime Louvel, menteur et vantard, n'avait surtout vu dans la jeune fille qu'il poursuivait de ses obsessions qu'un but la boulangerie prospère de M. Cochet qu'il visait travers la fille de son patron. Il ne s'agit donc pas, comme on vous le dira de l'autre côté de la barre, de crime passionnel.

«  Le crime passionnel est une chose terriblement usée, terriblement vieille et qui remonte à 1830, au temps où Alexandre Dumas faisait représenter à la Porte Saint-Martin son fameux drame « Antony », C'est une théorie de théâtre qui ne se produit pas dans nos audiences ou plutôt elle ne se produit que grâce au talent des avocats qui ont un intérêt puissant à chercher à faire dévier les débat, à faire oublier les victimes, à faire oublier les nécessités de la défense sociale.

Le crime passionnel voilà qui est bientôt dit. Nous sommets en France, où l'on se paie souvent de mots, en France, la terre classique des formules, où l'on abuse beaucoup de ce mot passionnel ! « Eh bien! nous ne reculons pas devant votre défense, car j'estime une fois pour toutes, que le ministère public, représentant de la loi et de la société, peut vous suivre sur ce terrain.

Messieurs les jurés, vous l'entendez bien et je ne compromettrai pas ma parole en vous le disant. Je ne nie pas qu'il y ait des cas où l'on peut trouver le crime passionnel. En voici un exemple. Supposons que Louvel, son crime commis, ait pu fuir sans être arrêté et que . Cochet le rencontre, lui ou son fils qui, hier, ne retenant pas son indignation vous criait: « maudit assassin de ma sœur » Il supposez qu'ils le tuent. Le voilà le crime passionnel !

Pour qu'il y ait crime passionnel il faut qu'il y ait à la base un lien qui constitué une sorte d'excuse passionnelle. Or dans cette affaire, il n'existe pas. Louvel s'est affublé du masque de l'amour. Il n'en avait pas le droit, car l'amour vrai est le contraire de la brutalité, il ne violente pas, il ne fait pas souffrir la personne aimée.

Non, le mobile du crime est la vengeance. Louvel avait fait le rêve d'épouser Anna Cochet, après avoir tout fait pour la compromettre, puis la jeune fille étant irréprochable, il l'a assassinée.

Si la cupidité n'était pas le mobile de son crime, il se serait tué. Mais ses pseudo tentatives de suicide ne sont pas sincères. Le dépit, le désappointement, l'orgueil froissé cherchent en vain dans cette affaire à prendre le masque de l'amour, ils n'en sont que la contrefaçon. L'affaire est donc jugée avec la loi, la morale et la conscience.

Une voix éloquente s'efforcera de faire diversion et de vous amener tout doucement à oublier le crime, je l'arrête au passage et je ramènerai toujours Louvel en face de cette jeune tête trouée par les balles homicides et je brandirai devant vous comme un remords, l'image ensanglantée de la douce jeune fille.

On frappera à coups redoublés à la porte de vos cœurs, on vous demandera de substituer votre sensibilité à votre fermeté, de mettre votre cœur à la place de votre raison.

En face des parents de l'assassin vous placerez ce père qui est venu en cette enceinte entendre résonner comme un glas funèbre, ce lugubre drame ce père qui, pareil à la femme dont parlent les versets bibliques ne veut plus être consolé parce que sa fille n'est plus et cet enfant de onze ans qui ne trouvera plus dans la maison vide la grande soeur qui lui servait de mère.

On vous montrera les larmes de Louvel. Sont-elles sincères Elles sont bien tardives, et sont plutôt inspirées par l'approche du châtiment .Oui tôt ou tard, il connaîtra le remords car chacun porte en soi un tribunal. La voix de la conscience s'éveille tôt ou tard, car l'homme homicide n'est pas comme le fauve qui dort après avoir égorgé la brebis. Oui ses nuits seront troublées et il verra apparaître à son chevet la vision sanglante d’ Anna Cochet traînant son linceul. M. l'avocat général cite alors les vers de Victor Hugo

Le fantôme est plus fort que le granit n'est lourd, Il soulève ce mont comme une feuille morte le voici : regardez. Il sort. Il faut qu'il sorte. Il dit : C'est pour moi : tout vent qui souffle vous l’apporte la nuit vous l'entendez qui frappe à votre porte.

M. l'avocat général conclut en demandant au jury de rendre un verdict impitoyable qui soit un exemple. Il est temps de rappeler à nos populations le respect de la vie humaine si oublié à notre époque qu'on pourrait appeler l'ère du poignard et du revolver. Le mal se propage voyez cette session rouge, jalonnée par des cadavres, sans parler de des autres victimes échappées comme par miracle à la mort.

Je vais m'asseoir, mais avant de le faire, je veux souhaiter à tous les pères de famille qui sont dans cette enceinte et ont le bonheur de posséder des filles, rayon de soleil, ornement de leur foyer, qu'ils ne connaissent pas l'excès de détresse morale dans laquelle se trouve M. Cochet, parce que sa fille Anna a rencontré sur son chemin un homme dont l'âme était, et c'est toute la psychologie de cette affaire, faite de boue et d'orgueil ! »

Ce sobre et puissant réquisitoire produit une impression des plus profondes. La tache de Me Marcillé va décidément être lourde.

L'audience est suspendue à trois heures et est reprise à 3 heures 1/4.

LA PLAIDOIRIE

M. le président donne la parole à Me Marcille qui, tout d'abord, fait justice d'un grief que l'accusation avait adressé à son client. Si Louvel s'est pourvu en cassation pour ne pas passer à la dernière session d'assises, il l'a fait sur son conseil, car lorsqu'on lui a confié d'office la défense de Louvel à la fin de juillet dernier, il avait déclaré qu'il lui serait impossible d'être prêt pour la session d'août.

En effet lors de la précédente cession Me Marcille défendait le principal accusé dans l'affaire des vols de titres au Crédit Lyonnais. 

Puis Me Marcille commence sa plaidoirie en ces termes.

« Vous ne vous étonnerez pas, Messieurs, que mes premières paroles dans cette enceinte, soient pour constater avec vous, très franchement, les difficultés de la lâche que j'accomplis et les charges, certaines et réelles, qui existent contre l'accusé.

Croire de ma part, que je voudrais, devant des hommes comme vous, me borner à chanter deux ou trois couplets pathétiques serait se tromper étrangement sur les habitudes de précision et d'esprit que je m'honore d'avoir. Non, messieurs ce n'est pas seulement à votre pitié que je ferai appel, mais aussi, et surtout, a votre raison. Et je voudrais pour cela me débarrasser de toute émotion quelconque.

C'est en faisait appel à votre raison que je réfuterai un réquisitoire si magnifiquement agencé, si beau dans ses formes, si complet dans son expression, que vient de prononcer M. l'avocat général. Mais qu'il me permette de lui rappeler que l'accusation est une force et que l'accusé est un faible et que, par les faits mêmes dans leur horreur matérielle, la force pèse en même temps que le droit sur la tête de ce malheureux.

Il est dès lors inutile de corser les choses et d'exagérer le dossier. Il suffit de les présenter telles quelles et c'est ce que je ferai. Lorsque j'aurai fait de cette douloureuse affaire le récit complet et pour ainsi dire impersonnel, vous pourrez juger et je crois que votre décision ne sera peut-être pas la sentence impitoyable que réclame de vous M. l'avocat général.

Ceci dit, l’honorable  défenseur de Louvel, après avoir rendu un juste et mérité hommage aux qualités de Mlle Cochet, entre dans le vif de la discussion.

Il établit d'abord que l'accusé n'est pas un criminel né. Rien dans ses antécédents ne faisait prévoir qu'un jour il viendrait s'asseoir sur les bancs d'infamie. On se trouve en présence d'un homme devenu fou sous l'empire de la passion.

Pour l'honorable défenseur, Louvel aimait Mlle Cochet. Il ne faut pas perdre de vue que ce jeune homme de 21 ans de caractère sérieux et de mœurs pures, n'avait pas de foyer. Quoi d'étonnant alors que, rapproché par la vie commune, il se soit épris d'une jeune fille qui réunissait toutes les qualités qui font les épouses et les mères. 

On a parlé de différence de niveau social, ceci n'est pas sérieux. Pour le défenseur, qui tient à le démontrer en s'appuyant sur des témoignages produits à l'instruction, Mlle Cochet n'a pas été insensible à l'affection que lui témoignait l'ouvrier de son père. Cette affection est restée de part et d'autre très réservée, très chaste, mais n'en existant pas moins.

Me Marcille croit que le père de Mlle Cochet, qui s'était aperçu des sentiments que Louvel avait pour sa fille, aurait agi sagement en le renvoyant. Peut-être en agissant ainsi eût-il évité un affreux malheur.

Puis l'éloquent défenseur montre l'amour s'installant en maître chez ce jeune homme de 21 ans, et tournant l'idée fixe. Louvel résiste d'abord, puis sa volonté s'affaiblit et succombe et, dans un même instant un geste de folie funeste suffit pour creuser une tombe et ouvrir un cachot.

Ah ! ne doutez pas, messieurs, s'écrie Me Marcille, que des actes aussi extraordinaires aient été accompli par un jeune homme jusque là honnête. Dans la profondeur secrète de son coeur, des douleurs qui pouvaient être inconnues, ont semé en lui le désespoir. Vous avez parlé avec légèreté de l’amour, M. l'avocat général. Vous avez nié que ce fût une passion de Cour d'assises. Mais l'amour qui ne l'a senti ? l'amour fleur éternelle, espérance et foi quand les misères du monde n'ont pas flétri sa tige l'amour loin des relents, des bouges et de l'ivresse des filles : l'amour qui fait déborder les espoirs infinis et les angoisses folles. Oui ! qui n'a connu cela ? au sortir du printemps, à l'ombre de l'automne sous le pâle soleil d'hiver, c'est le cœur, foyer d un jeune homme, sans mère pour le consoler, ce foyer est triste et voici qu'apparaît la svelte stature d'une jeune fille, belle et gracieuse. L'amour s'installe en maître.

Que ce soit tempérament ou faiblesse, peu importe. L'amour s'installe. Le rêve devient un destin. Il soutient celui qui, à travers la douleur même, voudrait atteindre la réalisation du rêve qu'il a formé. Il marche vers l'objet désiré, consolé toujours par le bonheur espéré qui emplit son coeur.

Après ce couplet, Me Marcille analyse les causes de la rupture entre ces deux jeunes gens qui s'aimaient. Cette rupture, pour le défenseur de Louvel, est due à des commérages grossis outre mesure. Si Louvel a parlé de sa passion pour Mlle Cochet, il l'a toujours fait en bonnes mesures et respectueux. Me Marcille fait alors observer que c'est à partir de ce moment, lorsqu'il eut quitter son patron, que des témoins ont découvert que son client était bavard, vaniteux, sournois.

Voyant son bonheur perdu, sa situation irrémédiablement compromise à Rennes, Louvel a quitté cette ville et est allé chercher du travail ailleurs. Puis, sa passion malheureuse, tournant à l’idée fixe, le malheureux est revenu à Rennes vers le milieu de juin et il commettait l'horrible crime.

En terminant, Me Marcille étudie la responsabilité de son client il fait allusion à j'affaire Chéenne, qui s'est terminée par un verdict d'acquittement. Il ne demande pas au jury d'aller jusque là, mais, dans une péroraison éloquente, il supplie les jurés, prenant en considération tous les faits de la cause, dont il croit n'avoir laissé aucune dans l'ombre,vu la jeunesse de son client, de rendre un verdict de pitié, qui ne le condamne pas à un cachot perpétuel, car sous d'autres cieux, il pourra se refaire une vie, après avoir expié un crime, dû à un véritable moment de folie, qui emporta sa volonté et son libre arbitre. Il croit, dans ces conditions, que la peine des travaux forcés à temps sera celle que rapportera le jury de la chambre de ses délibérations, en écartant les circonstances aggravantes et en le faisant bénéficier des circonstances atténuantes.

LE VERDICT 14 novembre 1906.

Le jury entre à six heures un quart dans la chambre de ses délibérations, il en revient au bout d'un quart d'heure avec un verdict affirmatif mitigé par les circonstances atténuantes.

Sur l'application de la peine, Me Marcille demande à la Cour d'entrer dans les vues du jury qui, certainement, par son verdict, a voulu appliquer à Louvel une peine de travaux forcés à temps.

La Cour, auprès en avoir délibéré, condamne Louvel à la peine des travaux forcés à perpétuité.

Il a été embarqué le 18 juillet 1907 pour la Guyane, il s'est évadé en 1909.

Avant de déclarer la session close. M. le président tient, au nom de la Cour, à remercier MM. les jurés de l'application et du zèle qu'ils ont mis à remplir leurs délicates fonctions.

                                                  ++++FIN++++

 

 

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